bullets to each other's wings | karus

Dans ce quartier-là de la ville, l’effervescence n’est pas complètement retombée malgré l’heure avancée de la nuit. Les éclats de rire résonnent ici et là, cavalcades et discours décousus d’étudiants pressés et ivres sortants des bars sur le point de fermer pour rentrer chez eux après une soirée bien arosée. Kael observe leur insouscience avec un regard détaché. Cela lui parait si étranger. Si loin. Il ne s’y reconnait pas. Sans doute a-t-il toujours été trop sérieux. On lui a souvent dit. Pas que cela ne le touche outre mesure. Il ne prend pas ça comme une critique, même si elle est souvent formulée comme telle. Il fait rapidement un pas en arrière en pinçant les lèvres alors qu’un jeune beaucoup trop alcoolisé manque de lui rentrer dedans, avant de pousser un soupire exaspéré alors que l’inconnu manque de se prendre un poteau dans la figure, et se faisant laisse tomber son portefeuille. Incroyable. “Espèce d’imbécile” Il lève la voix, se penche pour ramasser l’objet tombé à terre et se redresse pour rattraper le pauvre drôle qui s’est retourné, surpris. Il lui attrape le poignet et place le portefeuille dans sa main. “T’as laissé tomber ça. Et regarde où tu vas un peu!” Il lève les yeux au ciel et le laisse en plan, ayant jugé que la personne l’accompagnant semblait être assez claire d’esprit pour qu’il ne finisse par s’écrouler et s’endormir dans un coin.

Il s’éloigne de la fièvre et des inconscients bienheureux, et s’enfonce dans les grands boulevards à l’écart des quartiers animés. La pluie fine tombe sur la ville, Kael l’accueille avec sérénité. La pluie est précieuse. Presque inexistante, sur Seelos. Il se demande si son village va bien. Il relève la tête un instant. Il a toujours été impossible de voir les étoiles ici. Les étendues désertiques et le silence infini lui manquent. Son regard tombe sur la tour non loin de laquelle il s’est arrêté. Il pense à Arcturus, ce soir. C’est son anniversaire bientôt. Il se demande ce qu’il devient. Il n’aime pas penser à lui. Son regard s’arrête sur le toit de l’imposant bâtiment, et s’y attarde quelques secondes. Il se souvient que malgré les baies vitrées, et la hauteur, même de là-haut il était impossible de voir les étoiles. Arcturus l’aimait, son dernier étage. Ce n’est pourtant pas un appartemment tout en haut d’une tour qui donnait à Kael la sensation d’être un roi. Il se demande qui fait vivre ces grandes pièces tout là-haut, désormais.

Il baisse la tête, et s’apprête à s’éloigner mais du coin de l’oeil, il aperçoit une silhouette se rapprocher. Il sent sa respiration s’accélérer sensiblement alors que dans sa poitrine, son coeur fait une violente embardée et s’affole. Son regard se tourne plus franchement pour en avoir le coeur net mais il n’en a pas besoin, il le sait; l’évidence rattrapant son instinct et s’imposant avec une brutalité violente. Les mains moites s’enfonçant brusquement dans les poches d’une veste d’un homme qui se fige complètement. Son regard s’accroche à lui abruptement, avec intensité, comme l’assoiffé pauvre perdu errant dans un de ces deserts de sel et qui ne sait pas trop si ce qu’il voit est réel ou le fruit de son imagination. Il se trouve incapable de dire le moindre mot.

Les festivités ne sont pas terminées, mais Arcturus n'est pas resté pour le bouquet final de la soirée. La musique commençait à lui vriller les tympan, l'ambiance général de la fête ne l'enchantait pas. Il a l'alcool mauvais, l'envie de se recroqueviller sur lui même et n'adresser la parole à personne. Il rentre les mains vides, pas même un compagnon à son bras, juste sa solitude et sa potentielle gueule de bois qui l'attend demain. Le pilote erre les mains dans les poches dans les rues de Naboo, cueilli par la fraicheur automnale, il a sorti le grand manteau et la petite laine autour du cou. Au moins il ne pleut pas. Son appartement n'est pas très loin, à force il sait comment rentrer seul et éviter ceux qui pourraient vouloir le détrousser. Dans son quartier, de toute manière, ce n'est pas là que les bandits pullulements. Les pauvres dans ce coin de la ville sont plus riches que tous les véritables pauvres. Il y a un homme qui s'est arrêté un peu devant sa maison. Peut-être un passant égaré. Il n'ira pas lui demander, n'essayera même pas de l'aider. Arcturus veut juste rentrer chez lui et passer à demain, à moins qu'il ne soit déjà l'heure.

Arcturus passe devant lui, à quelques centimètres, il prend le temps de le regarder, de se retourner même après l'avoir dépassé. Jusqu'au dernier moment, il ignore pourquoi il est autant préoccupé par cette homme et pourquoi il lui rappelle autant Kael, avec de réaliser que c'est lui. Tout simplement. Sauf que ce n'est pas une réalisation qu'il accueille dans la paix et la joie, revoir quelqu'un dont il n'avait pas vu le visage depuis des années. Il se prend la chose comme une bonne claque en pleine face, des souvenirs qui resurgissent par milliers, des sons -celui de sa voix, de leurs voix à l’unisson - des parfums, des brèves de vies arrachées à ses souvenirs. C'est le réveil d'une douleur endormie au plus profond de lui, fulgurante, qui manque de lui couper le souffle. Sans exagération, Kael est le seul homme qu'il a vraiment aimé, en dépit de toutes ses tentatives pour retrouver auprès d'autres un semblant de ce qu'ils ont eu. Il prétend depuis une éternité que sa solitude le pèse, que rien n'arrive à le distraire. Il serait temps d'être honnête avec lui même, admettre que la seule absence de Kael est la raison de cette sensation qu'il a de tourner en rond. Lorsqu'il l'a laissé partir, Arcturus a pensé pouvoir tourner une page, sauf qu'il a laissé leur histoire en suspens, sur des non-dits et des actes manqués. Le point final a encore cet arrière goput de point de suspension. Pourtant il ne peut s'en vouloir qu'à lui même; il est celui qui est allé voir ailleurs, qui l'a trompé, qui en malgré tout l'amour qu'il pouvait ressentir pour lui, n'a pas su se satisfaire de leur relation. Il voulait pouvoir l'afficher publiquement, pouvoir se pavaner avec ses cotés. Il voulait que le monde soit témoin de son bonheur, aujourd'hui, le monde se tourne vers ses frasques. Ce sont elles qui font sa réputation, qui font grandir les paris. Inutile de se mentir d'avantage. C'est bien son caractère scandaleux et sulfureux qui fait couler l'encre et le maintient sous le feu des projecteurs. L'expression prend tout son sens, il sent littéralement son âme brûler jour après jour alors qu'il s'enfonce dans ces méandres où ce n'est même plus la course qui compte, mais la célébrité, le renom, une gloire éternelle. Il veut qu'on se souvienne de lui, que l'on murmure son prénom dans les stades et qu'on le porte en génie.

Et Kael alors ? Si il devait se souvenir de lui et raconter l'histoire ? Que dirait-il ? Qu'il n'a pas été malheureux, jusqu'au jour où Arcturus l'a mit à la porte, sous prétexte qu'il ne l'aimait plus. Il n'a jamais cessé de l'aimer, bien sur. Même encore aujourd'hui, il est tenté de tomber à genoux et de lui demander de lui pardonner. Il voudrait saisir l'occasion et remettre le couvert. Il voudrait rattraper ce temps perdu. Arcturus n'est plus un enfant, il n'est plus le jeune adulte qui pensait qu'il aurait le monde à ses pieds. L'univers est vaste, il est des endroits où la mention de son nom n'émeut aucune foule. Sa propre mère ne saurait le reconnaître sans une photo, puisqu'il se cache sous un pseudonyme. Il a vieilli et avec l'âge, il a gagné en maturité. Suffisamment pour admettre que rien ne changerait. Même si il pouvait le récupérer - et il doute que ce soit possible - la fin serait la même. Encore et encore. Avec n'importe qui d'autre, mais surtout avec lui. Il répéte sans cesses les mêmes schémas, comme un gars qui travaille à l'usine et qui assemble machinalement les sentiments, emboîte de jolies phrases dans l'espoir de faire mouche. Et puis jette ce qu'il obtient pour recommencer, encore et encore. De l'amour à la chaîne. Des conquêtes qui s'enchaînent.

Arcturus s'arrête, le fixe et ne dit rien. Il ne veut pas être celui qui portera la responsabilité du premier mot. De toute façon, son regard en dit déjà long sur les émotions qui le bouleversent et les regrets sont palpables. Il n'a pas le visage qui soit le plus expressif, sauf quand il est question de faire semblant. Un habile comédien, exagérant ses mimiques. Certaines choses ne s'inventent pas, comme la souffrance d'une peine de coeur. Il est brillant de larmes, bien qu'il se connait, il n'en laissera pas échapper une. Son destin le rencontre ce soir, il craint de découvrir à quelle sauce il va être dégusté. Se prépare à recevoir toute la vengeance qu'il mérite. Sans doute à t-il besoin que son coeur se meurt une bonne fois pour toute si il veut définitivement refaire sa vie.

Il mentirait, s’il disait ne pas avoir pensé à venir le voir, depuis qu’il est rentré sur Naboo, cinq ans plus tôt. Parce que Kael est las, Kael est fatigué et Kael n’arrive pas à refermer cette partie de sa vie. Kael veut du grand spitfire dans les rangs de l’Alliance Rebelle. Il ne comprend, même pas, ce qu’Arcturus fait encore en dehors de leurs rangs. Arcturus n’est pas quelqu’un de mauvais - Kael n’aurait pu tomber pour lui autrement. C’est du moins ce qu’il a toujours pensé. Il mentirait, également, s’il disait ne pas avoir suivi les frasques de son ex-mari depuis son retour. Cela n’a rien de plaisant. Cela ne fait que lui rappeler des souvenirs qu’il tente vainement d’oublier depuis des années. Mais c’est plus fort que lui. Et il mentirait, aussi, s’il disait qu’il ne l’a pas encore contacté parce qu’il attendait le bon moment. La vérité est beaucoup plus simple: il n’a cessé de repousser l’échéance. Il a beau avoir tout le courage du monde, Kael, comment se décider à affronter l’homme auprès duquel il a vécu ses plus heureuses années…. avant de voir son coeur voler en éclats ? Il ne l’a contacté jusqu’ici, parce qu’il craignait beaucoup trop l’impact de telles retrouvailles sur ce coeur encore si fragile qu’il a rafistolé grossièrement comme il a pu avec les moyens du bord, et énormément de volonté. Cette nuit, il ne peut plus reculer.

Kael sait toujours ce qu’il veut, et où il va, mais à cet instant, il est incapable du moindre geste, du moindre mot, alors qu’Arcturus se rapproche, complètement tétanisé sur place - Arcturus lui passe devant. Son regard se pose sur lui et Kael sent son ventre se tordre. Arcturus, ne semble même pas le reconnaître, pendant quelques secondes, avant qu’enfin la lueur de reconnaissance passe dans ses pupilles et qu’il s’arrête, lui, aussi. Si près de lui. Kael pourrait tendre le bras et le toucher. Il ne le fait pas. Il a l’impression de manquer d’oxygène. Son coeur bat à ses tempes, l’émotion lui monte à la gorge, lui monte aux pupilles si rapidement et ses poings se serrent brutalement dans ses poches. Arcturus, sa plus grande faiblesse quand il fut pourtant sa plus grande force. Il le regarde sans dire un mot, dévorant un visage qu’il n’a pas vu depuis quinze ans, qui a habité ses nuits, hanté ses jours, tourmenté son coeur, des années durant. C’est de la colère qu’il aimerait ressentir Kael, mais il n’a pas de place dans son coeur pour de la haine. Il y a trop de douleur, trop d’amertume, déjà. Et c’est au-dessus de ses forces, de ressentir de la haine pour lui. Il n’en est pas capable, pas quand son myocarde le pleure encore.

Le silence s’éternise. La pluie continue de tomber sur la ville, comme elle tombe sur ces retrouvailles. Le regard de Kael s’attarde sur quelques gouttes qui se sont écrasées sur son ex-mari. ça l’agace, l’émotion qu’il lit dans les prunelles d’Arcturus. Il n’en a pas le droit et Kael ne peut pas, en plus, s’inquiéter de ce qu’il ressent. L’un comme l’autre n’ont pas bougé, et Kael ne sait pas vraiment depuis combien de temps ils sont restés ainsi, sans bouger, sans parler, avec que le silence devienne assourdissant, pour lui, qui pourtant, lui donne tant d’importance dans sa vie. Il se reprend. Il ne peut pas s’écrouler devant lui même si intérieusement il se sent au bord du précipice. Il déglutit - ravale une émotion qui n’est pas la bienvenue. “T’es saoul.” Ses premiers mots, comme une déflagration dans le silence de leurs retrouvailles, des mots simples, une constatation, parce qu’il ne se fait pas encore confiance pour dire autre chose, parce qu’il sent l’alcool et qu’il peut en deviner la présence chez son ancien amant. Il n’est pas satisfait du timbre de sa voix, et racle sa gorge un instant. La situation est surréelle. Il ne sait pas comment la gérer. “Je pensais pas te croiser…” Son regard s’arrache de son visage avec difficulté pour se lever vers la tour. “T’habites encore ici?” Ce n’est pas du tout, quelque chose qu’il aurait pensé, mais il ne voit pas pour quelle autre raison Arcturus serait ici, ce soir. Il se demande si quelqu’un partage son appartemment. Il se refuse d’y penser. Il sent encore l’émotion bloquée dans sa gorge. Ses mains n’ont pas quitté ses poches. Il ne voudrait pas qu’Arcturus voit qu’elles tremblent.

Il ne sait si c'est une attaque, si lui balance ces mots comme un tir de blaster, mais si ils atteignent son coeur, ils ne le brisent pas. Au contraire. Ils diffusent une chaleur familière, un reproche qui lui donne le sourire. C'est lui tout craché. Arcturus a partagé son quotidien, il sait de quoi il parle, il connait cet homme mieux que tout le monde, il est celui qui a tenu son coeur entre ses mains et promis de le préserver. Qu'il a laissé tombé au sol. Il s'est brisé ce jour-là, celui de Kael et le sien, c'est quelque chose ne fait aucun doute. Il aurait pu ramasser les morceaux, il a laissé les débris où ils étaient, piétinés leurs souvenirs. « Oui. » Qu'il marmonne dans un souffle alcoolisé. Oui. Il a bu. Pas au point d'en oublier son prénom, assez pour que les tambours battent dans ses tempes. « Am I hallucinating ? » Il lève une main pour caresser sa joue et s'assurer qu'il est vivant et réel, il peut sentir la peau, souple sous ses doigts et sa barbe gratter ses phalanges. Il devrait s'en empêcher, mais il se dit que l'excuse de l'alcool pourra toujours justifier ce geste qui n'a rien à voir avec son état d'ébriété. De toute façon, il ne dure qu'un instant, comme un mirage, dans la continuité de cette soirée surréaliste où le fantasme se confond avec la réalité. C'est assez pour lui remettre les pieds sur terre. Ce n'est pas une création de son imagination. Ce n'est pas étonnant. Il n'est pas assez doué pour créer quelque chose d'aussi vif. Il n'est bon qu'à mourir en rêve.

Arcturus ne sait même pas quoi lui dire tant il a tant à dire, justement. Qu'il n'a pas déménagé, que rien n'a changé ? Qu'il est resté le même qu'au jour où ils ont divorcé ? Un gamin effronté s'oubliant dans les bras de tout le monde, parce que justement, tout est là : s'oublier. Il n'a jamais su qui il était en premier lieu, abandonné par son père, étranger de sa propre famille. Un imposteur. Il pourrait lui dire toutes ces paroles sombres qui obscurcissent ses pensées, toute sa détresse qui clignote telle un signal de détresse. Toutes ces choses là, Kael les connait déjà, cela n'a rien de nouveau, d'innovent. Ce serait se répéter, identique à de ces antiques CD qu'on accroche aux murs pour décorer parce que plus rien ne fait jouer leur musique. « Some things never change. » Il hausse les épaules. Tout du long, son regard ne quitte pas les yeux de Kael, même quand ils ne le regardent pas. Il n'y a rien voir. Rien ne change, les gens ne changent jamais, c'est faux. C'est un mythe. Une invention. Il est resté égal à lui même, seule quelques nuances ont pu s'atténuer ou au contraire s'accentuer. Les retrouvailles quand elles sont heureuses sont ponctuées de ces petites inquiétudes. Que deviens-tu, que fais-tu. Arcturus ne sait pas si il a la force de prononcer un mot de plus, au bord du craquage. Si c'est pour hurler au ciel, ou simplement verser les larmes qu'il s'est refusé quand Kael a récupéré ses dernières affaires. Ils auraient pu construire un monde ensemble, mais il ont préféré le détruire car il est plus simple de semer le chaos. C'est pour cela qu'aujourd'hui l'Empire dirige leurs vies. C'est plus simple de tout détruire. Il suffirait d'un pardon, qui ne vaut plus rien. « Il pleut. » Arcturus recule et s'approche de la porte de la tour. « Monte ? » C'est une invitation qui ne l'engage en rien, qu'il est simple de détourner. Il ne veut pas que l'autre se sente obligé de le suivre, d’acquiescer. Il peut encore fuir. Arcturus ne jugera pas, il le fait depuis tout ce temps lui aussi sans perdre son souffle.

Il y a beaucoup de choses auxquelles vous pouvez vous préparer, avec de la patience, de la rigueur, de la volonté, des murs autour de votre coeur. Mais rien n’aurait pu préparer Kael au geste d’Arcturus, même le savoir en avance. Arcturus lève sa main pour caresser sa joue et c’est son souffle qui se coupe brutalement, son coeur qui s’affole et cogne avec violence dans sa cage thoracique. Il doit puiser dans le reste d’une volonté qui s’essoufle à une rapididité alarmante pour ne pas pencher la tête pour accentuer le contact, et glisser sa main aussitôt autour de son poignet pour garder cette main là où elle se trouve, tourner la tête, laisser ses genoux céder et se laisser aller dans ses bras, enfouir son visage dans le creux de sa nuque, laisser son odeur l’envelopper de nouveau.
Broken heart craving for his touch. And he’s been for years.
Il ne fait rien de tout ça. Dans ses poches, ses poings qui se serrent avec force. Il est incapable, néanmoins, de ne pas laisser ses paupières se fermer sous la caresse qui ne dure pourtant qu’une poignée de secondes. Il a la tête qui tourne - il a mal au coeur.

Il reste droit comme un I, cependant, mais trouve le prétexte de s’arracher à son regard pour poser le sien sur cette tour qu’il connait si bien - il doit se reposer le coeur, cesser de le regarder, une trêve. De courte durée, alors que ses yeux sont irrémédiablement attirés par l’homme en face de lui. Il ne peut pas le quitter des yeux, alors que dans le même temps il en a le ventre qui se noue douloureusement. Sa question demande évidement beaucoup plus qu’un simple habites-tu toujours ici? « Some things never change. » your love for me did. you did. I did. Il a envie de hurler. Il ne le fait pas. Il ravale tout. Il a peur de ne pas garder le contrôle de lui-même. Il ne sait pas où il va, ce qu’il fait, et ça lui fait peur. Ce n’était pas prévu. Il ne devait pas le rencontrer, pas ce soir, pas sans pouvoir soigneusement choisir ses mots, être en contrôle des retrouvailles, en décider le début et puis la fin. Pas comme ça. Il ne dit rien. Il l’observe. Il le connait par coeur - ou du moins, il le croyait, il le croit, il ne sait plus, il a piétiné son coeur lorsqu’il pensait qu’il n’en serait jamais capable. Mais il connait ses démons; et il n’a jamais cessé de s’inquiéter pour lui, malgré tout le reste.

« Il pleut. » Arcturus s’éloigne, et Kael déteste la panique dans sa poitrine qui lui hurle de le retenir. « Monte ? » Il le dévisage un instant, restant figé. “I like the rain.” Il dit simplement. A cet instant, elle a le mérite de lui garder les pieds sur terre. “It never rains, on Seelos.” Il ne sait pas pourquoi il lui dit cela. Se raccrocher à des banalités, il a toujours détester ça. Il secoue la tête légèrement, pour lui même, et pousse un soupire. “Ok.” Il finit par concéder et lui emboite le pas, s’engouffrant dans la tour pour le suivre jusqu’à l’appartement. Leur appartemment, son appartemment, ce n’est plus chez lui désormais. Le trajet est silencieux. Kael en profite pour essayer de se remettre de ses émotions. Au moins un peu. Au moins suffisamment pour remettre de l’ordre dans ses pensées, sur ce qu’il veut.

Il passe le seuil de l’entrée, suit Arcturus quelques pas puis s’arrête, le laissant devant. Les mains toujours dans les poches de sa veste. Son regard parcourt la grande pièce lentement, le grand salon, la cuisine un peu plus au fond. Les grandes baies vitrées qu’Arcturus aimait tant. Les souvenirs affluent par milliers - des éclats de voix, des éclats de rires, des éclats de chagrin, des éclats de colère, des éclats de tout et des éclats de rien... des éclats qui viennent se figer dans son palpitant, un à un. Impitoyable. Son regard dévie à peine s’est-il égaré sur les pièces du fond. Il y a des souvenirs qu’il voudrait effacer de sa mémoire tant ils sont douloureux. Il a l’impression de suffoquer. L’espace d’un instant, amorçant tout juste un mouvement, baissant les yeux, il pense céder, se raviser, fuir sans demander son reste. “Some things never change.” Il finit par concéder alors, comme un écho, lentement, à demi-mots. Pas grand chose n’a changé ici, quelques trucs ici et là, mais Kael reconnait tout. Il se reprend. Il accepte la peine au lieu de la rejeter. Il n’en a plus la force. Elle fait partie de lui, de toute façon. Elle a façonné ce qu’il est devenu. “Tu devrais boire un verre d’eau.” Il marque une pause. “Tu seras dans un sale état demain sinon.” Il commente. Les gueules de bois aux lendemains de soirées d’Arcturus, Kael les connait bien. Trop, même. Avec les années, cela devait être encore pire. Ils ne rajeunissaient pas. Ni l'un ni l'autre. Il sait où tout se trouve ici. Il pourrait aller jusque dans la cuisine, lui servir un verre et le lui tendre, comme il l’a fait tant de fois. Il ne le fait pas. A la place, il retire sa veste. “Ton biopic est à chier. Je sais pas comment tu as accepté ça. Ce n’est pas toi.” Il ne cacherait pas ce qu'il pense, tout comme il ne se cacherait jamais de suivre ce qu’il faisait - il était partout de toute façon, ce n’est pas comme s’il pouvait l’éviter. (il pourrait. il ne le pouvait pas). Il se laissait encore quelques minutes. Il avait besoin de le retrouver, un peu, avant d’avoir des réponses.

Kael lui fait penser qu'il n'a jamais mit les pieds sur sa planète. Même lorsqu'il a prit des vacances, loin de l'hippodrome et de ses problèmes, alors que l'espace vaste s'offrait à lui, il n'a pas trouvé le courage de poser son vaisseau aux origines du mal. Tant d'actes manqués entre eux, est-ce une surprise qu'ils se soient séparés ? Peut-être que l'histoire était déjà écrite d'avance. Il y a des efforts que le pilote n'est pas prêt à faire, trop de choses à régler avec lui même pour être digne d'un amour comme celui qu'il a entrevu avec Kael. Il se cherche encore aujourd'hui des excuses, avec le recul son geste lui paraît de plus en plutôt stupide. Impulsif. Égoïste. Il ne saurait dire si il changerait les choses, si le voyage dans le temps était envisageable. Si pour certains de ses choix il sait qu'ils ont été nécessaire pour construire l'homme qu'il est devenu, celui-ci est une énigme. Un éternel "et si" qui ne trouvera jamais de réponse satisfaisante. Ils auraient pu être tout, ils pourraient ne plus être rien ; la réalité est plus nuancée.
Tout ce qui compte, c'est que Kael le suit et c'est à ce moment là qu'il reprend le souffle qu'il maintenait en suspend. Qu'il augmente son espérance de vies de quelques minutes supplémentaires, avant que Kael ne l'assassine avec la vérité de ce qui s'est passé. Pour la première fois depuis des années, Arcturus a peur. La vraie peur. Pas celle qui lui donne envie de se dépasser, ce trac avant une course. Celle que l'on ressent face à un choix qui changera définitivement le cours d'une vie.

En plus de toujours habiter au même endroit, Arcturus n’a pas modifié l’agencement de son appartement. La seule chose qu’il a changé, c’est la décoration, mais elle n’a pas bougé depuis que Kahl est parti. C’est le Sith qui l’a touchée, lui s’est contenté de faire des commentaires, de critiquer, ou non, ses goûts, mais quoi qu'il en pense il ne s'y connait pas suffisamment pour personnaliser. C'est bien connu, il laisse les choses pourrir dans un coin. Il y a eu de la tendresse entre eux, malgré leurs caractères, et puis comme avec tout le monde il a baissé les bras quand ça commençait à devenir sérieux. L’autre voulait parler, de choses personnelles, discuter de la vie et de sa profondeur. Autant de choses auxquelles le pilote ne veut pas penser. Il se retrouve à débattre de ça avec son androïde maintenant, une vielle rengaine. Rien ne change jamais, la preuve. La vie est une cycle qui se répète inlassablement, avec quelques nuances. Il n’est resté que quelques mois, suffisamment pour laisser une marque indélébile. Arcturus n’a eu ni le courage ni l’envie d’effacer les efforts de décoration qu’il a apporté. Il n’y a que les meubles et les trophées que Kael peut ne pas reconnaître. Sinon, tout est resté comme figé dans le temps, signe extérieur que le pilote n’est pas passé à autre chose. Il n’a pas avancé dans sa vie, ne s’est pas servi de son expérience pour en tirer une leçon. Il s’est renfermé sur lui même au point que même lorsque qu'il se confie à quelque, il parvient à mentir sur ses émotions, encore et toujours. Jusqu’à ce qu’il craque. Il n'a pas encore craqué. Il n'est pas encore prêt à parler, cette envie, cette résignation s'est faite la malle maintenant qu'il a son ex mari entre ses murs. Il veut à nouveau se recroqueviller sur lui même, mentalement dresser toutes les barrières possibles pour être le moins accessible. Il sait le faire. Il le fait constamment.

Est-ce qu’il a vraiment regardé le film ? Kael est le mieux placé pour savoir que tout ce qui est raconté dans ses mémoires, dans les articles, ce n’est pas lui. C’est un personnage qu’il a confectionné avec l’aide d’un ami, c’est un costume douteux qu’il enfile pour ne pas avoir à croiser son reflet dans un miroir. Les autres veulent peu-être entendre qu'il regrette cette décision. Il se plaît à être cet autre à qui on offre autant d’attention. D’être autant admiré, ou détesté, ne laisser personne indifférent. En bien ou en mal, les gens parlent de lui, lui permettent d’exister. La solitude se comble. « C’est ce que je suis.   » Dans toutes les légendes il y a une part de réalité. Il est vrai qu’il est doué, comme il est vrai qu’il est provocateur. « Tu veux boire quelque chose ? » Lui se sert un verre d’eau sous ses conseils. Il a des cachets pour s’occuper de la gueule de bois. Des cachets pour dormir, des cachets pour oublier, des cachets pour coucher, pour ci, pour ça. Pour tout. Pour se supporter dans ses mauvais jours. Il ne veut pas le montrer à Kahl. Quand il est parti, il n'était pas encore tombé dans ce cercle vicieux ; il vendait, sans consommer. Puis il y a goûté, pour faire passer la douleur. Il s'est habitué à la sensation. Et tout est devenu excuse de douleur, pour en prendre. Son verre déborde. Arcturus déposé la carafe avec précaution sur la table.

Comment en est-il arrivé là.

Il n'était pas comme ça au début. Il imagine, qu'il était comme tous les enfants, pleins de rêves et puis, ils ont laissé place aux déceptions. A la facilité. Surtout quand l'argent rentre facilement et ne ressort pas. Surtout quand tout a commencé dans la misère. Et puis, on vieillit, on réalise que le plaisir matériel, les possessions, ça ne comble pas tout. Ils disent que l'argent ne fait pas le bonheur, qu'il y contribue. C'est faux. Il ne fait vraiment pas le bonheur. C'est un poison. « Why does it matter. If it's me, or not. » Est-ce que ça compte encore pour lui ? Il doit balayer cet espoir. C'est fini. C'est fini, mais toutes les fins ne sont pas aussi dramatiques. « Kael. I'm sorry. » Il le dit sans y réfléchir. Parce que si il pense trop, il va finir par renoncer, si il rumine, il va rester dans son silence, bouder, se dire qu'il vaux mieux que ça. Que des excuses. « I'm sorry for breaking your heart. It rained everyday since you're gone. »

“Non, tu mens.” Il ne ménage pas ses mots Kael, jamais, alors qu’il rétorque aussitôt à la réponse de son ex-mari. Arcturus peut essayer de convaincre le reste du monde, mais pas lui. Ce biopic était une vaste blague. Biopic qu’il a, évidemment, pris le temps de regarder. Pathétique, sans doute, l’ex-époux qui se morfond devant un navet supposé raconter l’histoire d’un homme qui a été si aimé. Il n’apparaît pas dans le film, seulement mentionné succinctement. Bien sûr, Kael s’est douté qu’Arcturus est à l’origine de cette décision. Ce qui, pour lui, rendait les choses si ironiques. Lui qui a tant insisté pour qu’ils puissent se dévoiler au grand jour - refuser que leur relation soit portée à l’écran. “Water is fine…” La situation lui paraît encore si irréelle. Arcturus est bien là, devant lui, en chair et en os. Il craint bien d’être en train de rêver, mais il n’aurait pas pu imaginer les nouvelles décorations (étranges, venant d’Arcturus) de l'appartement, ou, surtout, le nouveau visage de son ex-mari. Quinze ans ont porté leurs marques sur les traits si chéris de l’homme qui a partagé sa vie. Arcturus a les traits tirés de quelqu’un qui n’est pas en grande forme. Kael les entend, les rumeurs. Il espérait qu’elles soient fausses, mais il doute qu’elles soient des plus réelles. Son ventre, à cette pensée, se tord douloureusement d’inquiétude.

ça le met en colère, qu’Arcturus ne donne que si peu d’importance à la façon dont son histoire est racontée. ça se voit, à la façon dont sa mâchoire se serre. C’est n’importe quoi. Il déteste, quand il ne fait que peu cas des choses qui importent. Il s’apprête à lui répondre aussitôt. « Kael. I'm sorry. I'm sorry for breaking your heart. It rained everyday since you're gone. » Mais Arcturus le souffle complètement dans son élan. Les mots qui le percutent de plein fouet et lui compriment les poumons, et l’émotion qui remonte brutalement dans sa gorge. Il le regarde. Interloqué. Il secoue la tête. “No” Il sent la brûlure des larmes se pressant derrière ses pupilles. “Fuck you. You don’t get to fucking say stuff like that.” C’était Arcturus, qui avait arrêté de l’aimer. C’était Arcturus, qui l’avait trompé. Savait-il, seulement, tout ce que Kael aurait donné pour qu’il le retrouve? Le rattrape, le récupère? Savait-il, seulement, qu’il se demandait sans cesse s’il n’aurait pas dû ravaler sa putain de fierté pour se mettre à genoux, ce jour là, au lieu de tourner les talons et s’en aller et qu’il se détestait rien que de se poser la question? Savait-il, seulement, comment il s’était senti perdu sans lui, et dépouillé de sa condition de jedi, pendant des mois? Pour une fois dans sa vie, Kael aimerait mentir. Prétendre autre chose que ce qui lui serre le cœur comme un étau. Il exhale. Se pince l’arrête du nez un instant. Il est fatigué. Il finit par se laisser choir sur une des chaises d’Arcturus. Il reste silencieux, un instant. Arcturus lui a brisé le cœur. Le fait est avéré. Mais Kael n’est pas fier non plus de cet homme qu’il était, à l’époque, trop respectueux d’un code qu’il voit comme responsable de tout. Principalement, il est en colère contre lui-même. “I’m sorry.” Il finit par dire clairement, malgré l’émotion dans sa voix. Il relève son regard sur lui. “I’m sorry I wasn’t what you were looking for. I’m sorry I wasn’t strong enough to see that what I had with you was more important that some fucking rule.”  Il marque une pause. Une unique larme brise ses résistances et fraye son chemin jusque sur sa joue. Il déglutit. Secoue la tête, un sourire agacé sur ses lèvres. Il y a qu’une chose dont il a honte, probablement, Kael, dans tout ce qu’il a vécu, dans tout ce qu’il est. C’est d’être aussi fragile, dès que cela concerne de près ou de loin Arcturus.

“It matters, to me.” Il finit par répondre à sa toute première question. La voix résonne, étrangement calme en contraste avec ce qu’il ressent à l’intérieur, dans la grande pièce. “Tu n’es pas comme ça. Tu ne l’as jamais été.” Il plante son regard fier dans le sien. “Don’t you think it’s time to stop with the self-loathing?” Arcturus ne s’est sans doute jamais véritablement aimé. Il ne sait pas si c’est ce qui l’a poussé à rompre avec lui, si c’est ce qui l’a poussé à le tromper, si c’est ce qui a asséché l’amour qu’il avait pour lui. Il ne sait même pas pourquoi il pose cette question. C'est sans doute, une distraction bienvenue de la tourmente de son âme.

Arcturus tâche de lui servir son verre en cachant le tremblement de ses mains. Ce n'est pas du manque, pas celui qui pourrait provoquer ce genre d'effets secondaires, celui auquel Kael doit penser si il est si bien informé sur ses faits et gestes. Il a reprit, plus ou moins, pas comme avant et pas assez pour se tuer dans une course. Si il doit vraiment en finir, maintenant il a compris que certaines sont mieux faites par soit même. C'est une émotion violente, réprimée, à tel point que pour sortir, elle doit prendre possession de son corps. La mâchoire braquée, pour empêcher ses propres larmes de couler. Kael est celui qui pleure, lui a a toujours été le plus dur d'eux deux, celui qui ne dit pas ce qu'il ressent, celui qui se protège car très tôt, on lui a enseigné comment être fort. Une force qui passe par la répression, qui n'est en réalité qu'une faiblesse. Les émotions nous rendent faibles, peu importe qu'on les laisse s'exprimer ou non, il faut l'accepter. Accepter que personne n'est inatteignable et que ce n'est pas un but en soit, ce n'est pas un humain de luter contre soit même. Puisqu'il ne trouve pas la force de balancer tous les mots qu'il a sur le coeur, son être entier hurle ce qu'il en pense de cette histoire. Cette tragédie qui les frappe tous les deux. Il s'attend à être repoussé plus violemment encore, pourtant Kael reste fidèle à lui même et Arcturus sourit doucement. C'est pour ça qu'il est tombé amoureux, aussi, pour cette force tranquille. Pour le Jedi qui ne s'abandonne pas à ses émotions négatives. Cela ne l'a pas empêché de l'éloigner de sa culture - sa religion. De l'arracher aux siens lorsque leur divorce rendu publique a fait parler à travers la galaxie. Et c'est lui qui s'excuse de ne pas avoir été suffisant ? Qu'elle connerie.
Kael n'a pas a s'excuser. Il n'a rien fait de mal. Il a tout essayé, mais ce n'était pas assez. Celui qui n'allait pas bien, c'est Arcturus.

« No. Now you shut the fuck up and listen to me. » Il ne doute pas qu'il a continué de penser à lui, de s'inquiéter. A sa manière, c'était pareil pour lui. Ce n'est pas des choses que Kael veut entendre. Les yeux fermés quand il couchait avec d'autres pour retrouver un peu de leur chaleur perdue. Les pâles copies, les visages similaires, la recherche de son âme soeur à travers l'univers. Il a eu la prétention de croire que sur le milliards d'êtres humains et d'alien qui peuplent la galaxie, il y aurait un Kael numéro 2. Kael est unique. Kael ne pourra pas être remplacé. Il veut mettre un terme à cette recherche éperdue. Il veut... mettre un terme à eux. Assis, il ne tombera pas de haut quand Arcturus aura fini de lui dire tout ce qu'il a à dire. « I'm sorry I made you believe one second you were not enough. You were more than enough and I was scared because nobody ever loved me like you did.   » Il reste debout et s'approche de lui. C'est une excuse, sincère. Même si il veut fuir son regard, il le respecte et ne le fait pas. C'est un fait et il ne veut pas que ça lui inspire de pitié. Il n'a pas connu l'homme qui a contribué à sa venue au monde, sa petite soeur est partie, sa mère est restée, mais c'est à peine si il ressentait un lien entre eux deux. Quand Nocte lui a tendu la main, c'était la première fois qu'il le ressentait, cet amour. Ce sont des bases fragiles, destinées à se casser la gueule comme elles l'ont fait. La vie à fait que.  Ce sont des faits et il les expose, sans chercher d'absolution. « I'm a mess Kael. I'm drunk, I'm high, I'm fucking every guy I meet because I feel empty inside, I'm probably trying to kill myself with the races. » Avant peut-être, le secret était bien gardé. Il était plus facile à cacher. Il n'avait pas encore tout ce vécu, il était jeune, il a eu un peu d'innocence. Ils ont tous les deux vieillit. Bien, ou mal ? Bien ou mal Arcturus ? Quand est-ce qu'il saura si il est le pire connard de l'univers ? « The truth is that I lied to you that day. I still love you, I will always love you. But I know I need to let you go. » Il tire une chaise et s'assoit en face de lui. Étonné de la douceur de ses paroles. Le ton passif agressif est devenu posé. Il est calme avec Kael, il est son équilibre.  « This is why we're here, Am I right ?   »  Et ça lui va, comme ça. Pouvoir se parler, se revoir. Se le dire. « Please don't cry. » Il tend la main et essuie la larme étrangère sur sa joue. Elle n'a rien à faire là. Parce que même si il n'en a pas le droit, il ne peut pas le laisser comme ça... si ? « Don't cry Kael, because there is no reason to be sad. » Dit celui qui a passé des années à faire son deuil. « Remind me who I was then. » Il rit, faiblement. « I was so bad at jokes. Remember ? But you kept laughing... That sound... I was my favorite. » Puis ses soupirs de plaisirs, la satisfaction de le faire voyager dans les étoiles sans avoir à décoller du sol. Le rendre heureux tout simplement.
Il a été si simple le briser.
Arcturus ne se le pardonnera jamais.

Ne croyez pas que Kael refuse des excuses. Malgré son coup de sang, il les entend, ces excuses, il les assimile, et surtout, il les accepte. Ce qu’il a dû mal à entendre, c’est le reste de ses propos, l’implicite qui est caché derrière - qu’il lui aurait manqué. Est-ce si difficile à concevoir? Oui, pour celui qui a taché pendant des années de se convaincre que son choix avait été le bon. Il est parti, ce jour-là, pas à cause des tromperies, non, même si ces dernières ont été douloureuses - non, il est parti parce qu’Arcturus ne l’aimait plus. Arcturus, qui l’a regardé droit dans les yeux, ce matin-là, pour déclarer ces mots. Ce sont eux qui ont détruit son cœur, anéanti tout son univers. Alors, oui, se convaincre qu’aucune autre issue n’aurait pu être possible, c’est ça qu’il a tâché de faire. Si l’amour n’était plus réciproque, il avait alors pris la bonne décision. Si l’amour n’était plus, il devait les libérer tous les deux d’une relation qui ne pouvait plus avancer. Et ces mots - ces mots brisent tout cela, et Kael ne peut le supporter. Alors il réagit brutalement, alors il peste, alors il les rejette. Lui qui est toujours en recherche de la vérité, qui ne supporte pas l’hypocrisie ou le mensonge, laisse, l’espace de quelques secondes, un mécanisme de défense s’enclencher. Malgré toute sa patience et sa détermination, Kael a toujours eu quelques part un petit côté impulsif. Il n’est pas prêt pour entendre ça. Il n’est pas prêt pour penser à toutes les implications derrière ces mots. Mais le sera-t-il seulement un jour? Probablement que non. Il faut arrêter de fuir une confrontation qui n’a que trop tardé. Une confrontation qui a quinze ans de retard.  

Il se recentre. Il laisse la Force l’apaiser, un peu, et il s’assoit. Étrange équilibre entre la tristesse immense qui lui comprime le myocarde, et ce besoin de parler, de lui parler, de le retrouver. De s’expliquer. De cesser une fuite qui ne lui ressemble pas. Kael est droit. Il assume ses fautes. Peut-être  sont-elles moindres que celles d’Arcturus, peut-être importent-elles moins, il n’en sait rien, il n’est pas juge dans cette bien triste histoire. Mais ce sont des fautes, à ses yeux, et il ne se défile pas. Son expulsion n’a pas été du fait d’Arcturus. Son expulsion, elle vient de lui même. Elle l’a attendu depuis ses seize ans, depuis qu’ils ont échangé ce premier baiser dans le vaisseau du pilote au sourire ravageur et à la répartie cinglante qui était bien amusé, que Kael soit aussi agacé de ne pas pouvoir être meilleur que lui. Il se souvient encore, Kael. Son incompréhension, à l’époque. Comment quelque chose d’aussi beau et d’aussi doux pouvait-il être interdit? Comment ce qu’il ressentait dans sa poitrine pouvait être mauvais? Il n’a pas changé d’avis. Même ce jour-là, lorsque son palpitant s’est arrêté, lorsqu’il a tout perdu, lorsqu’il s’est écroulé dans une ruelle sous la pluie battante de Naboo en pleurant tout son saoul et que Domkod l’a récupéré quelques heures plus tard, lorsqu’il a erré dans les déserts de sel de sa pauvre planète à la recherche d’un point d’eau, d’un puits pour désaltérer son corps mais aussi son âme - il n’a pas changé d’avis. Il n’y a jamais eu de noirceur dans son cœur. A quoi ça sert? A quoi ça l’avance? D’autres le qualifieraient de faible, de continuer à se sentir concerné par Arcturus. A s’inquiéter pour lui. A vouloir qu’il aille bien. Mais ne voient-ils pas que c’est sans doute sa plus grande force, à Kael? La pureté de son cœur.

« No. Now you shut the fuck up and listen to me. »
Kael relève son regard vers lui. Il reste silencieux. Ce n’est pas bien difficile, alors qu’il a encore des sanglots immondes coincés dans sa gorge. Il a besoin de quelques minutes. Il l’observe sans un mot, et écoute ses mots, alors qu’il se rapproche. Il ne dit rien. Il connaît Arcturus, même après quinze ans, il le connaît, il connaît les signes et il sait qu’il n’a pas terminé. « I'm a mess Kael. I'm drunk, I'm high, I'm fucking every guy I meet because I feel empty inside, I'm probably trying to kill myself with the races. » Ce ne sont pas des mots que Kael veut entendre; pas parce qu’Arcturus lui dit qu’il ne fait que coucher à gauche à droite, non, mais pour tout le reste. Pour sa détresse évidente. Pour sa solitude. Désolation dans ses prunelles. Pour cette tourmente qui lui est dévoilée et que Kael veut calmer aussitôt tout en sachant pertinemment qu’il ne le peut pas. Il n’en a même pas été capable, quand c’était son rôle. L’a-t-il empiré? « The truth is that I lied to you that day. I still love you, I will always love you. But I know I need to let you go. » Il n’y a plus d’implicite. La voilà, l’affreuse vérité, imposante et redoutable. Les éclats figés sont trop nombreux - le palpitant se fracasse de nouveau. Il baisse les yeux. Il pleure. La main s’est serrée avec violence autour du verre. Il pleure ce qui n’est plus et ce qui aurait pu être. Il n’entend plus rien, pendant quelques secondes, plus rien que le chagrin assourdissant dans son esprit. Il ne veut pas s’écrouler devant lui. Il y a des choses, auxquelles Arcturus ne peut assister. Il ne le chargera pas de ce poids sur ses épaules, il se le refuse. C’est la douceur du geste de son ex-mari sur sa joue qui lui fait relever son regard voilé de larmes silencieuses dans le sien. Sa main quitte le verre pour venir s’agripper, cette fois, au poignet de l’homme. “I’ll stop. Gimme a minute.” Il marmonne dans un souffle, incapable, à cet instant, de se faire entendre plus distinctement au risque de perdre le peu de contrôle qui lui reste. C’est ironique, qu’il soit celui habité par la Force, et pourtant le moins en contrôle, quand il s’agit d’Arcturus et lui. Sans doute parce qu’il accepte sa peine plutôt que de la rejeter au loin. « Remind me who I was then. I was so bad at jokes. Remember ? But you kept laughing... That sound... It was my favorite. » Un rire brisé accompagné d’une sorte de sanglot étouffé s'échappe d’entre ses lèvres. “You had the worst jokes.” Il admet lentement, secouant un peu la tête, fermant les yeux pour inspirer longuement, ravaler tout le reste. Pour l’instant. La main d’Arcturus a quitté sa joue mais Kael ne l’a pas lâché. Il observe ces mains jointes, un instant. “You were my person… and I’ll always love you too.” Il exhale avec un léger tremblement caractéristique de ses personnes en train de calmer leur détresse. Il se calme, efface de ses joues les quelques larmes qui s’y sont encore glissées. “You’re fucking every guy you meet, and me… I’ve never been with anyone else. I’m a mess too, you know.” Que ce soit sur le plan physique, ou relationnel. Il n’a pas besoin de préciser. Il n’y a pas de honte dans sa voix. Il n’en a pas. C’est un choix qu’il a toujours assumé. Il ne se donne pas sans ressentir quelque chose. Et personne ne lui a fait ressentir des choses comme Arcturus l’a fait. “I guess we’re both stupid in our own ways for that.” Il exhale, et son pouce caresse le dos de sa main, un instant. “I need to let you go, too.” Il le sait, et Arcturus a raison, s’il y a un but dans ces retrouvailles, c’est celui-ci. Il lâche sa main. “I’m not mad at you. I could never be. I’ve forgiven you for years already.” Il marque une pause. “I wanted to make you happy. This is the only thing I wanted. You know that? I hope you know that. And you better stop being that reckless with the races, with the booze, with the drugs. I don't want to lose you a second time, a worst time. You can’t keep hurting yourself like that.” Peut être qu’il est trop sérieux. Peut-être qu’il devrait alléger l’atmosphère, comme Arcturus a essayé de le faire quelques minutes plus tôt. Mais il ne peut ignorer son inquiétude.

La force de Kael réside dans son pardon, quelque chose de Arcturus ne veut même pas s'accorder à lui même. Il part du principe qu'il ne le mérite pas, qu'il ne peut être absolu de son péché, du crime qu'il a commit en brisant le coeur de Kael. Il ne comprend pas comment l'autre peut l'avoir pardonné. C'est un travail long, que l'on fait avant tout pour soit même, qui demande de la résignation. Le pilote n'est pas encore prêt, le chemin à parcourir est long. Il se sabote, reste persuadé que se flageller éternellement pour ce qu'il a dit de mal et fait de mauvais sera constructif. Il ne peut pas accepter le pardon d'un autre, tant qu'il n'aura pas accepté ce qu'il a fait. Tant qu'il ne se sera pas pardonné lui même. Il admire, encore une fois, à quel point Kael lui est supérieur. Il est bon, meilleur. A ses cotés, le pilote se sentait lui aussi différent, une personne qui avait l'espoir de changer et de s'améliorer. Trop de temps a passé depuis. C'était avant, qu'il fallait se reprendre, réfléchir et se poser les bonnes questions. Il a eu l'occasion de se remettre en question de changer de vie et repartir sur des bases scènes. S'élever ou sombrer. Il a choisi la facilité et s'est éloigné de la lumière. De ça, même Kael ne peut pas le sauver.
Personne, si ce n'est lui même. Le jour où il réalisera que ça en vaut encore la peine, si ce jour arrive.Si il n'arrive pas trop tard, sur son lit de mort, alors bercé par ses regrets. Empoisonné toute sa vie par ce poids sur ses épaules, un fardeau trop lourd à porter.

Il lui suffirait de s'ouvrir, de laisser l'autre entrer dans cette forteresse. De laisser tous les autres le toucher avec leurs mots et leur générosité. Il a ce luxe qui ne se quantifie pas, d'être entouré de personnes qui l'aiment et chérissent sa présence peu importe la misère qu'il est devenu. Et son coeur hurle, à l'agonie, qu'il veut le récupérer, qu'il veut réparer le mal qu'il a fait, qu'il ne peut pas vivre sans lui. Si Kael veut vraiment le sauver, alors il ferait mieux de le reprendre, de luis apprendre à nouveau à aimer. Mais Arcturus n'est pas prêt à apprendre, ni à changer. Il a conscience que vouloir Kael, c'est le vouloir car il est libre, car il est tenté de récupérer ce contrôle qu'il pensait avoir sur sa vie à cette époque. Alors que tout lui souriait, qu'ils étaient mariés et que Nocte était là, Aziel était là. Tout le monde était là. Doucement, tout le monde s'est éloigné. Ne laissant que lui, à ruminer encore et encore au lieu d'agir. Sont-il vraiment parti ?
Ou  a t-il occulté leur présence, faisant de sa personne le nombril du monde ?
Ce n'est pas sain. Ce n'est pas bon. Ce n'est même pas ce qu'il veut vraiment, il est attaché à un souvenir de la chose, du passé. Il n'existe plus aucun avenir pour eux, ce serait rester dans le passé. Arcturus y a un pied. Il sait qu'il doit se lancer, quitte à se jeter dans le vide pour franchir ce cap. Laisser derrière lui ce qui a été, ne sera plus jamais. Il veut rejoindre Kael de l'autre coté. Là où le monde semble plus beau, la vie plus douce et le coeur plus léger. Mais si il se pardonne, alors il l'aura vraiment perdu. Sans possibilité de retour en arrière. Il le réclame, lui demande de laisser tomber, de lâcher prise. Quand il se regarde en face, Arcturus réalise qu'il est le premier qui n'a pas envie de le faire.
Impossible. Impossible. Impossible.

Sauf qu'il respecte Kael. Il le respecte assez pour ne pas faire selon ses désirs. Il fait ce qui est juste et nécessaire. La colère de Kael aurait été milles fois plus simple à affronter. Il se retrouve face à ses émotions brutes et sincères, tout ce qu'il essaye de nier. Depuis toujours, quand il y pense, cette manie de refouler les choses pour ne pas avoir à les subir, parce qu'il ne connait que cette forme de douleur et qu'elle est insupportable. « How can you forgive me when I haven't forgiven myself ? »  Il a besoin d'aide, pour cela. « I'm scared to loose you Kael...For ever. » Sa gorge se serre.  « I don't know If I can stop. I've gone too far. I'm not strong like you. » Il ne peut pas s'arrêter. C'est sa vie maintenant, s'arrêter dans sa course peut tout aussi bien le tuer. Il n'aura pas de happy end. Il n'y a pas d'issue. Ce qu'il fait du temps qu'il lui reste, de ce qu'il peut encore sauver, tout ceci est entre ses mains. Cela demande du courage, qu'il ne possède pas. « Don't go Kael, stay, please... stay... » Il se relève avec une idée derrière la tête qui est sans doute mauvaise et sèche une unique larme alors qu'il s'arrête au milieu de la pièce. « Can you dance with me ? Just one last time ? »  Une dernière fois, tenir sa main dans la sienne et le prendre dans ses bras, avant de véritablement faire ce fameux bond vers l'avant. Avant de dire adieu à tous leurs bons souvenirs et les garder pour ce qu'ils sont.
Des souvenirs.

Il serait sans doute plus facile d’être en colère. De laisser la rage le consumer, et de repousser Arcturus. Mais Kael n’a pas de place dans son cœur pour de la haine, ou du ressentiment. Cela ne rend pas forcément les choses plus simples pour lui. L’amour est toujours là. C’est évident, alors qu’il observe Arcturus, et qu’ils se livrent l’un à l’autre. S’il lui pardonne, c’est qu’il veut avancer. Jusqu’ici, il n’y est pas parvenu. Il le sait et il l’assume. Il se sent fragile, il reconnaît avoir protégé son coeur, de façon inconsciente peut-être. Ce n’est pas anodin que personne ne semble avoir réussi à le toucher depuis. Il ne considère pas qu’avoir pardonné les actes d’Arcturus est un acte de courage non plus. La vérité c’est qu’il est encore beaucoup trop attaché à lui. Il lui a fait du mal, oui. Terriblement, plus que n’importe qui. Mais il est aussi celui qui lui a apporté le plus de bonheur. L’un ne va pas sans l’autre, Kael n’aurait pas pu avoir le deuxième sans avoir eu le premier. Un revers de médaille pour ses erreurs, peut-être. Il n’en sait rien. Il a retourné leur histoire dans tous les sens, l’a examiné sous toutes les coutures. Il en a eu le temps, pendant quinze ans. Il n’a pas trouvé les réponses. Il ne sait pas s’ils auraient pu faire autrement. S’ils auraient pu éviter de se faire souffrir l’un l’autre. Et cela demande trop d’énergie pour rester en colère. Il veut essayer de passer à autre chose - et il refuse qu’Arcturus puisse croire qu’il lui en veut encore. A quoi bon? Qu’est ce que cela changerait? La rancune, ou la vengeance, est un sentiment stupide, Kael tâche toujours de s’en éloigner. Ce n’est pas ce qu’il souhaite. Il l’aime encore. « How can you forgive me when I haven't forgiven myself ? » Il l’aimera toujours, sans doute, et le voir ainsi, l’entendre prononcer ces mots ne lui apporte aucune satisfaction, aucun soulagement. “Arcturus…” L’appel est faible, le ton douloureux. Il voudrait lui dire tant de choses. Le pilote est plus rapide. « I'm scared to lose you Kael...Forever. I don't know If I can stop. I've gone too far. I'm not strong like you. » Son cœur est déjà fracassé, mais voilà qu’il trouve encore le moyen de le faire souffrir encore davantage. Aurait-il dû rester? Aurait-il dû comprendre l’implicite, comprendre le mensonge, la teneur des mots jetés dans une énième confrontation ce jour-là, quinze ans plus tôt? S’il avait eu la présence d’esprit de renoncer à son statut de Jedi, Arcturus serait-il vraiment resté sien? Seraient-ils heureux à l’heure qu’il est? Les pensées s’agitent, s’entrechoquent et repartent dans ces hypothèses, encore et encore. A refaire le passé, il pourrait se brûler les ailes, il en connaît aussi l’inutilité. Cela n’apportera rien, à personne. Ni à lui, ni à Arcturus, ni aux autres, ni à la cause. La tentation est si forte, cependant, et douloureuse.

« Don't go Kael, stay, please... stay... » La portée des mots d’Arcturus semble bien plus forte qu’un simple reste ici, maintenant. Kael reste silencieux, un instant, le ventre toujours aussi noué. Il se sent perdu. Sur un fil, en équilibre précaire. Le ton qu’utilise Arcturus l’atteint bien plus qu’il ne le voudrait. Il ne sait pas si cette conversation lui fait réellement du bien, si elle est vraiment nécessaire ou bien si elle ne lui fait pas plus de mal que de bien. A realiser l’état de son ex-mari, et le sien, qu’il pensait avoir apprivoisé depuis des années mais duquel il comprend avoir minimisé la gravité. Etre en face de lui remonte trop d’émotions, et trop de souvenirs qu’il pensait avoir oubliés, ou avoir digérés. « Can you dance with me ? Just one last time ? » Il se trouve incapable de lui dire non, et sa raison le quitte pour quelques instants. C’est son cœur qui provoque ses mouvements. Il se lève, et se rapproche de lui, au beau milieu de ce salon qui a été témoin de tant de scènes de vie - de leur peine, leurs cris et leur colère; la luxure, les relations charnelles et leur jouissance; et puis la tendresse, les mots doux et l’amour, toujours. Il glisse sa main dans la sienne, ses propres mains ne sont plus douces, abîmées par le vent sec et les températures extrêmes de Seelos, mais le contact lui fait du bien. Il glisse son autre main dans la nuque d’Arcturus, lentement, avec délicatesse, caressant du bout des doigts la naissance de sa chevelure juste là. “You won’t lose me. I’ll always be there.” Il plonge son regard dans le sien. Il ne plaisante pas. Il ne veut plus le lâcher, et il ne veut pas qu’il se perde. Le palpitant cogne douloureusement dans sa poitrine, et sa main glisse de sa nuque à son omoplate. Il n’a pas besoin de musique. Arcturus a toujours su le faire danser avec ou sans musique, le faire danser, dans le sens littéral du terme, dans un sens plus figuré, dans le bon comme dans le mauvais sens, il a toujours su le faire danser dans le secret de leurs nuits passionnés sous les draps - la danse était naturelle, évidente, douce et intense, sauvage et tendre, et elle avait ce goût d’infini qui lui faisait perdre la tête. “I don’t want to go.” Il laisse échapper avec toute sa sincérité désarmante, comme abattu. La gorge est serrée sous l’émotion alors qu’il le contemple, si près de lui, contre lui, et pourtant si loin, souvenir de ce qu’il a été et de ce qu’ils ont été imprégnés dans sa rétine pour toujours. Il sent l’émotion le rattraper, et la proximité se transforme en étreinte puissante et un peu désespérée alors qu’il lâche sa main pour se jeter à son cou. Ses bras enserrent ses épaules; il le serre avec force contre lui. Le visage au creux de son cou, et les yeux fermés. Il a peur de le relâcher. Le geste est déchiré, le besoin de se raccrocher à un passé qui n’est plus, le besoin de laisser le passé là où il est. “I miss you so much sometimes.” L’aveu est chuchoté, murmuré dans la profondeur de la nuit avancée. “What we had...I will always cherish it, Arcturus.” A cet instant, il est rassurant de prononcer son prénom. “But you can’t move on if-" Il bute un peu sur les mots. Il n'a jamais été doué avec ces derniers. "What happened… it’s in the past. I love you. You’ve paid enough for it. We both did. Please stop resenting yourself Arcturus. I know you can." Il lâche une de ses mains pour la place sur son coeur, entre eux. "Go back to your bad jokes - tu mérites une vie plus douce que ça.”

Il frisonne au contact des mains de Kael. Elles réveillent de vielles blessures et des vieux désirs, encore inscrit dans sa chair. Plus rugueuses que dans le passé, il se dit que c'est ce qui leur donne cette sensation de réel. Il ne saurait imaginer ce genre détails. Il n'aurait pu prédire la manière dont Kael vieillirait, les changements sur son visage et la fatigue dans ses yeux qui fait douloureusement écho à la sienne. Il ne peut s'en détacher, ce sont des yeux dans lesquels on ne peut faire autre chose que se noyer. Sa peau se souvient de tout. Sa mémoire est plus fidèle que la sienne, qui tend à déformer les bons souvenirs et faire taire ceux qui le sont moins. L'esprit n'est jamais fiable, il fait dire aux autres ce qu'on veut entendre, il accommode les événements pour les rentre supportables. Dans ses songes, il voyage dans des endroits où il ne devrait pas aller pour son propre bien. Arcturus ne contrôle rien, il n'essaye même pas d'arrêter ses gestes, il fond dans ses bras. Il enserre sa taille comme il le faisait avant, pour le faire danser au son de ses musiques favorite et presse ses doigts. Le pilote fredonne un air qui doit lui rappeler des souvenirs alors qu'il l’entraîne dans un slow hors du temps, hors du monde. Un chant du life day qu'il sifflotait le matin avant de lui offrir ses cadeaux. Le temps de l'insouciance. Sera t-il toujours là ? Commen il me prétend ? Quand il sera en descente ? Quand il ne sera que l'ombre de lui même ? Quand ils se croiseront dans la rue et que sa tendresse laissera place au masque hautain qui déforme ses traits ? Sera t-il là quand il partira ?

L'étreinte le brise, mais il ne laisse rien paraître. Lui aussi, il lui manque. Soudain, la possibilité de lui proposer de tout recommencer ne lui paraît plus aussi folle. Elle est si proche, si il tend le bras, si il effleure sa joue et caresse ses lèvres du bout de son pouce, il pourrait allumer une flamme qu'il sait pertinemment qu'il n'est pas capable de contrôler. Il ne sait pas pour combien de temps il pourrait entretenir sa passion avant que ses démons - bien réels - mettent fin à une illusion. « I miss you all the time. » Il ne sera jamais capable de faire partir ce sentiment étouffant. Il n'a pas la force de partir avec une dernière blague. Il ne connait plus la douceur, il veut qu'à jamais elle soit associée à son ex-mari. Qu'il soit le seul et l'unique à l'avoir réconforté. Il lui doit mieux que ça, mieux qu'un sarcasme de plus, c'est un effort qu'il fait. Garder pour lui d'autres paroles médisantes à son égard et simplement aller à l'essentiel. Ce pourquoi ils sont là. Un dernier pas de danse et Kael dans ses bras. Juste une dernière fois, comme il le voulait. « Goodbye Kael. » Il murmure dans son oreille et prend son courage à deux mains. Maintenant ou jamais. Il rassemble tout ce qu'il reste d'eux et le dépose sur ses lèvres, un baiser chaste sur ses lèvres. Un dernier, les yeux fermés, l'espace de quelques secondes si bien qu'on pourrait penser qu'il n'est jamais arrivé, qu'il ne s'est rien passé, un adieu un vrai. Il se lèche les lèvres, à la recherche de quelque chose, d'une preuve, d'une confirmation, le coeur battant à cent à l'heure dans sa poitrine. La cadence s'accélère et la réponse est cruelle. C'est fini. Il garde les yeux fermé et revit la scène et encore, tente de savourer cette dernière part de Kael qu'il emporte avec lui, mais elle est insipide. L'amour est encore là, mais ce n'est plus cette amour là, ce désir là, ce n'est plus comme dans ses souvenirs. C'est fini.
Et tout se termine sur un sourire aux lèvres, des yeux embués de larmes. « Thank you. For everything. » La chaleur de son corps n'est plus, ses bras ne pendent plus à son cou. Kael s'éloigne et lui, physiquement s'éloigne de l'homme. Se mord la lèvre inférieure jusqu'à goûter le sang pour ne pas s'effondrer. « You must leave. »

Kael ne ment pas, cela ne lui ressemble pas. Mais cependant, peut-il assurer qu’il sera toujours là, vraiment? Il ne veut pas le perdre, pas une seconde fois, mais pourtant peut-il rester à ses côtés, vraiment? Il l’espère. Il espère que même lorsqu’il ne sera pas présent physiquement, Arcturus pourra ressentir sa présence près de lui. Il s’inquiétait déjà pour lui avant - maintenant, avec ses mots, avec ce qu’il a appris ce soir, Kael le sait, il s’inquiètera pour lui toujours. Il l’accepte, ne cherche pas à se rebeller contre la chose. Cela fait partie de lui. Il ne luttera pas contre ce qu’il est, ce qu’il a été. Arcturus se met à fredonner un chant du jour de la vie, et Kael ferme les yeux aussitôt, se laissant bercer par la douceur des souvenirs partagés, et à quel point il appréciait les jours de la vie passés en sa compagnie. Il se souvient de tout, de l’appartement d’Arcturus qu’ils décoraient ensemble, le sapin et ses guirlandes, de leurs baisers sous le gui, de ses essais médiocres pour faire des bonhommes et des maisons en pain d’épice (il finissait toujours par en acheter, la cuisine n’ayant jamais été son fort); et bien évidemment, des échanges de cadeaux, il était difficile de trouver quelque chose à Arcturus qui semblait tout avoir, ou tout obtenir sans attendre dès qu’il voulait quelque chose, mais Kael avait toujours réussi à se débrouiller, du moins, Arcturus avait toujours semblé apprécier ses cadeaux. Les souvenirs sont doux mais aussi amers, et donnent à Kael un goût d’inachevé dans la bouche, une sensation de perte et de gâchis. L’émotion le prend à la gorge et il se laisse aller dans ses bras, l’étreinte désespérée d’une âme qui souffre. Pendant un instant, les réminiscences si claires imprégnées derrière ses paupières closes, Kael s’interroge. Est-il si impossible, de récupérer ce qu’ils ont perdu - s’ils y mettent du leur? S’ils y croient suffisamment? S’ils reprennent à zéro, refusent de baisser les bras? Est-il si impossible de croire en un renouveau, lorsqu’ils s’aiment encore? La pensée est douce et apaise les maux d’un myocarde qui n’a de cesse de s’affoler, ce soir.

« Goodbye Kael. » Il laisse le cœur s’arrêter une seconde. Il laisse les mains resserrer l’étreinte. Il chasse tout le reste, et grave l’instant dans son esprit pour ne jamais l’oublier. Le baiser est intense de tout ce qu’ils ont été. Il est aussi douloureusement vide de tout ce qui n’est plus. Il n’y a plus que des souvenirs - it doesn’t feel right anymore. Aujourd’hui, il n’y a plus rien, du moins plus ce qu’il avait de réminiscent dans le cœur.

L’étreinte est rompue, et avec elle les braises encore tout juste frémissantes d’une histoire inachevée s’éteignent à jamais comme sous le coup d’une soudaine averse. Le feu ne peut plus reprendre. La prise de conscience est là sous ses paupières, qui se relèvent alors lentement. Il faudra en allumer un autre peut-être, différent, quelque part; et ne plus s’acharner sur celui qui vient de s’éteindre. Il y a une certaine paix intérieure, de comprendre cela. Mais il y a aussi une tristesse infinie, celle d’avoir compris qu’il est arrivé à la dernière page de leur histoire. Les larmes dans les yeux d’Arcturus le bouleversent, et il se connaît pour savoir qu’il est dans le même état. « Thank you. For everything. » Il y a une pause. Kael l’observe sans savoir quoi répondre, sous le choc d’une vérité à laquelle il se retrouve confrontée et qu’il avait choisie d’oublier. « You must leave. » Il ferme les yeux un instant. Il le sait. Il est temps. Les paupières se soulèvent. “Please don’t let anyone, especially yourself, tell you that you don’t deserve happiness.” Le geste est doux, alors qu’il glisse une main sur la nuque d’Arcturus, se hissant légèrement pour déposer ses lèvres sur son front. Le feu n’est plus mais l’amour et l’affection ne disparaîtront jamais. “Goodbye, Arcturus.” Il s’éloigne. Il tourne les talons, et s’en va. Son visage se retourne. “I will see you again.” Il murmure. Il y croit. C’est la fin de leur mariage, mais ce n’est pas la fin de leur histoire commune. Il faudra du temps, avant de se revoir cependant. Le temps est au deuil et à l’acceptation.

Il fait volte face, et dévale les escaliers avec l'urgence de quelqu'un qui est en retard quelque part.