it is something of fire on which his soul wrote

"Quelque-chose de pas trop fort." Mais dans les cris enivrés sa voix ne porte pas plus haut qu'un soupir. Incrédule, l'androïde se penche un peu plus par dessus son bar. Elle n'aime pas qu'il perdre son temps à lui faire répéter lorsque d'autres s'impatientent à l'opposé.
"Non attendez. Un rancor. Un triple. Sans glace. " Elle ne sait pas ce qu'elle dit. Si elle apprécie l'alcool, il n'est jamais fort, jamais sec, jamais triple, jamais tiède. Celui au visage poupon, quoique sérieux, acquiesce au moment où les chromium tombent d'entre les doigts d'Hadassah.
Il lui aura fallu que le type ne se tourne pour qu'elle puisse enfin s'avachir sans élégance contre le mur, rangeant ses cheveux dans le col de son blouson. Jamais l'endroit n'avait semblé si vivant, ronflant de liesse et d'un peu trop de gerbe verbale à son goût. Il fallait faire vite. Il fallait avaler ça comme on gave une oie et se tirer des bacchanales. A rester ici, c'était se confire dans l'angoisse des bousculades. Point caduc à une journée du même acabit, l'après-midi devant les ordinateurs centraux à mettre le doigt sur cette petite ligne de codes qui avait fait sauter les écrans déflecteurs de la Death Star, un capitaine parasitant les hologrammes pour mieux s'époumoner et elle n'eut d'autres moyens que de couper toute communication avec la station spatiale le temps de localiser le disfonctionnement. En réalité, elle n'aurait jamais laissé passer une telle erreur mais rien ne serait divulgué avant le rapport officiel que l'on lui avait demandé pour la matinée. La seule chose qui lui fit desserrer les dents ce jour-ci fut le verre qu'elle s'empressa de siffler à la manière des plus grands poivrots. Elle était trop contente d'elle en réalité pour laisser parler les choses idiotes. Tout ce gratin ne servirait à rien, si le commandant et son capitaine se contentaient de rencontrer les dignitaires de l'empire pour reporter l'incident qui ne pouvait être qu'extérieur. Les protocoles n'avaient jamais été sa soupe préférée.

Dans sa gorge l'alcool crame jusqu'aux cimes. Le regard se brouille et le nez pince. Tout son corps se recroqueville, le temps que le détergant ne lui tombe dans l'estomac comme du venin. Elle finit par relever le visage, sclérosée par ce qui s'invite dans le sillon de ses veines. Quand elle balaie, hagarde, les gorges qui vocifèrent, les visages déformés et les grandes embrassades amicales entre aliens et bizarreries humaines, elle se met à hoqueter soudain.
Un grand sursaut, qui part de la pointe de ses pieds bien emmitouflés dans ses bottes aux bouts de ses doigts gelés. Un petit cataclysme interne, une enclume sur les épaules. La température se dérègle brusquement et elle manque de se ramasser en sautant du tabouret. Le verre dégringole plus vite qu'elle.
Son squelette s'étrangle sur ses entrailles qui enflent. L'alcool ne peut pas battre la raz de marée. Il s'efface aussi brusquement, aussi soudainement qu'il était venu parasiter et se colle maintenant à son estomac quelque-chose qui ne répond à aucun nom.
Hadassah risque alors une œillade, rien qu'un regard, rien qu'une confrontation, de loin. Elle le voit encore, sous la neige. Elle le voit encore s'arrêter, se retourner, elle se voit encore promettre. Ce ne sont pas des souvenirs. C'est un déluge.
Séparés par des univers, il n'est plus qu'à quelques mètres, encore plus charbonné par l'anxiété que lorsqu'il était parti d'Hoth. Personne ne semble remarquer la gravité qui vient de se déployer, même pas lui, trop afféré à ne pas se faire remarquer. Elle contourne des corps, elle ne les compte pas. Il y en a peut-être dix, elle en chiffre cent.
Et puisque les mots se sont barricadés sur les coins de sa trachée, elle ne peut que trouver son épaule et y déposer une main. Et puis...
"Cygnus..."

feel the force and do it anyway Épuisement au visage. Les événements se sont succédé les uns aux autres, laissant bientôt Arès sans énergie. Après des mois de labeur acharné, le voilà intendant. Un rôle qu’il endosse non sans conscience du poids qui pèse sur ses épaules d’Atlas. Encore des nuits sans sommeil et d’autres, effondré sur des projets démultipliés pour Naboo. Pourtant, il ne se plaint pas. C’est ce qu’il a toujours voulu pour la planète qui l’a accueilli alors qu’il n’était qu’un enfant : une gestion juste, d’une poigne de fer dans un gant de velours. Il en va de l’avenir de la population. Contrairement aux propos des non-dissidents de l’Empire, il n’a cure des honneurs qu’on réserve à ses pairs. C’est la liberté et la dignité humaine qu’il vise, au prix douloureux de plusieurs autres espèces. Peut-être aussi des machines, songe-t-il amèrement en pensant à Hera et aux autres androïdes. Arès le sait, Darth Taarq est encore aux portes de la révolution technologique et éthique qui les attend. Il mène leurs compères et assure leur bien-être avec le reste de la population robotique en tête, sans toutefois pouvoir les protéger à leur tour. Pas encore. Pas si tôt. Tel est son dilemme. Mais chaque chose en son temps. Repliant les croquis d’un dernier plan holographiques du globe et d’une série de projets, Kirk se masse doucement les tempes. Son regard cuivré égaré dans l’éther, il reste immobile durant plusieurs minutes avant de finalement se défaire de sa cape charbonneuse pour endosser des nippes plus civiles. Une soirée seul et anonyme. Voilà ce dont il a besoin. Voilà ce qu’il tente.

Trente minutes plus tard, une ombre traverse une cantina de la ville. Une taverne discrète à laquelle il commande une bière galactique, sa favorite. Le minois bas, il se contente d’observer la clientèle, profitant du calme environnant loin des Sith et de l’Ordre impérial. Un plaisir personnel dont il se délecte avant de croiser les traits familiers d’une vieille amie. Cygnus… Entend-t-il. Rares sont ceux qui s'adressent encore à lui de la sorte. Au contact de la paume de l’humaine sur son épaule, il se retourne et plisse les paupières. Sa vision se précise. On croirait que son vis-à-vis a vu un fantôme, et bientôt lui aussi. Il lui faut plusieurs secondes avant de réagir subitement, joignant les souvenirs à sa parole : “Hada ? C’est toi ?” Stupéfait, un sourire contemplatif s’esquisse au milieu de sa barbe. Il pose à son tour une pogne sur son bras. “Tu n’es plus la petite fille que j’ai connu.” murmure-t-il avec humour, réalisant soudainement qu’une jeune femme se tient face à lui. Quelqu’un en qui il plaçait bien des espoirs, il fut un temps. Quelqu’un qu’il aimerait découvrir à nouveau. “Eh bien, nous avons des années à rattraper. Je t’offre un verre ?” Les muscles se détendent et son timbre s'éclaircit. Il sait qu’elle n’a jamais voulu être ici. Une décision respectée malgré ses nombreux rêves pour elle qui est, tout comme lui, sensible à la Force. “Que fais-tu à Naboo ? Dis-moi tout.” la questionne-t-il d’une voix calme avant d'émettre un rictus enjôleur.

Il y en a, c’est comme ça, où qu’ils soient sont destinés à se croiser. Il y a des âmes qui ne se détachent pas et se retrouvent toujours. La sensation doit être particulière mais facile. Ennuyeuse peut-être, sinon rassurante. Ils se rencontrent et se reconnaissent. C’est tout. C’est ainsi. Hadassah et Arès ne sont pas de ceux-là. C’est autre chose, encore. Plus organique. Moins paisible. Ce sentiment-là s’est distillé dans chaque alcôve de sa carne et elle sait bien, sans doute, que le prochain pas y refermera ses dents. Il y a un univers dans cette seconde de regard. Elle a creusé son propre temps, son seul espace et y a jeté tout ce qu’elle a pu. Il avait suffi de ça. Une seconde. Il y a vingt ans, elle avait refusé son avenir à un enfant venu de nulle part. Ils s’étaient quittés comme ça, juvéniles et pleins de promesses dans les tripes, accrochées comme des fanons. La mémoire ne s’est pas flétrie. Elle ne s’est même jamais assoupie, pas une fois, pas un instant. Collée à tous les coins de son intérieur, comme on s’agrippe au désir. L’absence est un deuil, resté aussi éveillé que lors de sa naissance. Il avait tout englouti avec lui et elle, si disposée à tout lui céder, avait sûrement fait en sorte de le dévorer pour ne jamais s’en séparer. Quitter ce fantôme, c’est comme avaler la mort. Chaque moment, chaque homme, chaque femme, chaque vide et le monde lui-même étaient une collection de son image. De la séparation avait éclos le regret, et Hadassah avait fini par construire son avenir sur des suppositions. Et si elle avait pris ce vaisseau, si elle s’était rangée à ses côtés, si elle avait été plus disposée à quitter les griffes patriarches ?

Arès la regarde, et elle sait qu’il l’a reconnue. Ils se dévisagent, ça ne dure qu’un instant. Les années ont tissé sur sa peau les soucis de leur passage, une par une. C’est marqué aux coins de ses yeux, à la fronce d’une commissure, à l’ourlet de son sourire qu’il fait croitre, en silence. L’adolescent n’est plus là mais ce n’est pas son enveloppe, qu’elle reconnait. Il y a une force, n’importe laquelle, peu importe, sachant parfaitement de qui il s’agit.

La main impériale ne presse pas l’épaule de son adverse mais ne semble pas encline à céder sa présence pour autant. Sentir ne serait-ce que le tissu raboteux de son manteau semble l’harnacher à la réalité. Elle se réveille alors qu’elle sent le retour sur son propre bras, lève le visage vers celui du Sith. Les lippes s’entrouvrent mais rien de plus qu’une légère hésitation ne semble vouloir s’y extirper. Les mots d’Arès, au contraire, sont mesurés. Sa voix est sobre, son ton pondéré. Elle se souvient de ça.
Il n’avait jamais semblé être dans la démesure. Il a cette intelligence là, la noblesse de la réserve. "Oui."
La réponse fait simple mais elle n'est pas légère. Alors, toute précautionneuse qu'elle sait l'être, Hadassah s'installe aux côtés du désormais chancelier. Ses sourcils se froncent, sa bouche se plisse. Et puis, un sourire.

"Je suis arrivée il y a treize ans." C'est un souffle. Elle chancèle, un peu. La vérité n'est pas difficile à comprendre. Elle n'a pas tenu sa promesse. Elle ne s'est jamais présentée à lui, une fois arrivée à Naboo. Un temps, elle s'était dit que sa présence lui suffisait, même au travers de son statut politique. Peut-être a t'elle espéré l'apercevoir au sein de la base spatiale. Ce n'est pas le désintérêt qui a tiré les ficelles, c'est son manque de courage. Dix ans après leur rencontre, l'aurait-il oubliée ?
"Je travaille pour la station spatiale, désormais." Le bourdonnement dans ses oreilles finit par s'échapper, il lui semble que son environnement se désépaissit. "Un verre, Cygnus, ne sera pas suffisant pour rattraper nos vies ennuyeuses." Le sourire devient plus large alors qu'elle incline légèrement son visage devant le regard souverain.