It's more than I can stand - Sherv

Le froid ne cessait d’emplir la petite cellule dans laquelle Horion était détenu. Il était recroquevillé en position fœtale, tentant de conserver le peu de chaleur qu’il lui restait. La douleur était la deuxième sensation que le jeune Jedi ressentait. La douleur dans ses muscles, de s’être bien trop tendu à chacune de ses interrogatoires. La douleur dans sa cuisse, là où sa blessure suintait encore de quelques gouttes de sang. La douleur dans son dos, résultat de plusieurs jours à dormir sur un matelas aussi fin et dur que le sol.
Horion était bien incapable de compter les jours depuis qu’il était ici. Le manque de soleil et de repère n’aidait pas. Le manque de la Force aussi, résultat du collier inconfortable et trop serré qui ornait sa nuque tendue.

Le Jedi avait faim, soif, il se sentait seul, désespéré, pensant de plus en plus qu’aucune aide ne viendrait pour lui. Aziel l’avait sûrement oublié, refait sa vie, pourquoi s’intéresser au pauvre Jedi envoyé dans les lignes ennemies quand il avait à portée de main bien plus intéressant ? Il n’aurait peut-être jamais dû partir. Pourtant son travail avait bien dû servir à quelque chose, il espérait qu’il n’avait pas vécu autant d’horreurs et de souffrances pour rien. Suivre les ordres, ne pas pouvoir intervenir aux nombreux meurtres ignobles des nombreux opposants, développer des armes pour les blesser encore plus. Il était en partie responsable, il le savait. Il avait fini par se détester complètement au fil du temps. Le désespoir était bien trop ancré au fond de son âme désormais. Il avait l’impression que rien ne pourrait le sauver.

Seul, il repensait aussi à Addler, aux souffrances et à la solitude qu’il avait dû vivre, qu’Horion expérimentait actuellement. La Force le punissait de ne pas être intervenu pour sauver son ami, un être cher. Les larmes roulèrent abondamment sur ses yeux. Horion ne comptait même plus le nombre de fois où il sanglotait comme un pauvre enfant perdu, sans sa mère. Si Aziel venait quand même à le sortir de là, il ne lui pardonnerait jamais son inaction. Leur relation était perdue, morte, finie. Horion ne pouvait même pas l’imaginer, lui qui avait été si seul, il avait désespérément besoin de chaleur humaine, d’une personne qui le prendrait dans ses bras, qui le réconfortait durant ses nombreux cauchemars, qui l’aiderait à avancer quand il ne pouvait plus. Mais il serait seul, il le savait. Son cœur appartenait au pilote, il ne pourrait jamais aimer une autre personne. Horion avait l’impression d’avoir tout saccagé, personne ne méritait de partager sa vie.

Complètement perdu dans ses pensées, comme la plupart des heures qui ne cessaient de s’accumuler, Horion ne fit même pas attention au grincement de la porte de sa cellule qui s’ouvrait. Il voulait juste que tout s’arrête, que tout disparaisse. Il ne parlerait pas. Jamais. Il souhaitait qu’ils le laissent partir, le laissent enfin mourir, rejoindre la Force. Il n’avait plus l’espoir de vivre. Les sanglots redoublèrent, si c’était même possible. Horion se recroqueville davantage, ne faisant pas attention à la présence qui s'avance lentement vers lui, qui verrait sa déchéance totale.

La nouvelle est tombée comme un couperet.

Comment considérer une relation, peut-être même une amitié, quand on apprend que l’autre n’est venu que tromper, fouiller, faire traîner ses yeux et ses oreilles. Quelle est la valeur des moments partagés, des regards entendus, des sourires de connivence ? Tu fouilles ton crâne, te tritures l’esprit, à chercher si tu as pu dire un jour quelque chose qu’Horion aura rapporté, montré quelque chose à l’autre homme qui aura engendré des pertes chez l’Empire.

Tu te demandes s’il t’a approché dans l’idée de t’arracher des informations, ou si c’est simplement arrivé, dans le quotidien de la fausse vie qu’il a mené ici.

La peine et la rancune se sont succédé, la colère, l’amertume, le doute. Et les jours se sont allongés, un après l’autre, pendant lesquels tu as cherché à t’en débarrasser l’esprit, à jeter tout ça aux oubliettes, à l’oublier lui et ce que tu éprouvais auparavant à son encontre. Et ça froisse, tu te demandes comment tu as pu rien voir, comment tu as pu laisser approcher de la sorte un ennemi de l’Empire. Piques de paranoïa alors que tu te demandes combien ils sont au final, si d’autres de tes collègues rapportent vos faits et gestes, si chaque attaque inattendue, chaque fois où les ennemies étaient finalement plus nombreux, mieux équipés que prévu, c’était à cause d’Horion ou d’un autre espion.

Ça te retourne l’estomac. Amertume jusqu’à sur la langue, alors que tu frottes distraitement ton genou, ta jambe qu’est restée douloureuse après un crash qui, au final, était peut-être plus orchestré que tu ne le pensais.

T’as finalement demandé la permission. De le voir.

Et comme il refuse de dire quoi que ce soit, malgré la torture, c’est peut-être pour ça qu’on te l'a donné, cet accord.

T’es pas bête, bien sûr qu’ils vont écouter votre conversation. Bien sûr, que vous ne serez pas vraiment seuls. Bien sûr qu’on va t’utiliser pour peut-être faire cracher quelque chose au prisonnier. Tu y vas quand même en sachant tout ça, malgré ce qui pourrait t'attendre de l’autre côté de la porte de sa cellule. On te l’ouvre et tu rentres sans un mot, vêtu de ton uniforme gris, casquette sur le crâne, soigneusement fouillé pour que tu ne puisses rien faire entrer, même si ce n’était absolument pas ton intention et qu’il n’y avait rien à trouver sur toi.

T’es loyal à l’Empire Galactique. Tu te bats pour eux, tu sais qu’un jour, tu vas mourir pour eux. C’est le chemin que tu t’es choisi et qu’importent les gens que tu estimes, avec lesquels tu fais des liens pour découvrir du jour au lendemain qu’ils ne font pas partie de ton camp, tu n’en bougeras pas.

La porte se referme derrière toi alors que ton regard se pose sur Horion, recroquevillé, méconnaissable. Et malgré ta colère et ta rancune, ça te désole de le voir comme ça, sachant bien que cette dernière image de lui va souiller tes souvenirs un peu plus. T’as jamais été insensible. T’es un soldat, t’es formé pour obéir et tuer, mais ce n’est pas pour autant que chaque vie plongeant dans la déchéance et la mort te laisse indifférent. Au contraire, tu louvoies avec celles-ci, les vois passer, incalculables, parfaitement conscient. Pour peu que ta vie aurait été différente, peut-être aurais-tu eu l’aveuglement de t’opposer à l’Empire. Peut-être que tu aurais pu être à la place de l’autre homme, en ce moment même.

”Je me demande si chaque fois que tu m’as approché ou parlé, c’était dans l’idée de tirer quelque chose de moi. De rapporter une information, à… Va savoir qui, quoi. Au final, je suis peut-être chanceux que tu n’ais pas simplement saboté Bogwing. Ou alors tu l’as fait ? Je me demande combien de mes frères d’arme sont morts en partie par ta faute.”

C’était quoi pour toi, notre relation, hein Horion ?

Puis une voix brise le silence des pas qui se sont approchés. Un silence pesant mais les mots prononcés sont bien loin du réconfort. Horion relève lentement la tête, ne pouvant pas fixer directement l'homme qui s'est approché, qui lui fait face. Un homme, un soldat de l'empire, un pilote talentueux avec qui le Jedi a travaillé, de nombreuses fois. Une personne qu'il considère aujourd'hui comme un ami. On lui avait pourtant dit de ne pas s'attacher, de rester professionnel, de récolter des informations et de se servir des gens. Mais ça, c'est pas la manière Jedi, c'est pas Horion du tout. L'attachement aux autres a toujours été un problème pour l'homme. Aujourd'hui, accusé de trahison, il en paye le prix.

-Sherk...je...je ne sais pas quoi te dire. L'homme a honte, il baisse à nouveau la tête. Il sait qu'ils sont écoutés, qu'après les tortures ils tentent de jouer avec ses émotions. Et ça marche. Un peu. Parce que la douleur, la solitude, ne sont pas censées être des constantes dans la vie d'un être vivant.
Horion se sent si épuisé. Il ne veut plus penser. Ne plus réfléchir, se laisser aller, se repentir. Ça ne marche pas comme ça malheureusement. Il doit faire face, assumer ses actes. Peu importe les conséquences. Il n'a pas voulu choisir ça. Mais qui l'aurait fait ? Il s'est sacrifié, il le sait.

- Je n'ai jamais voulu vous trahir, tous. Mais...mais c'est la guerre Sherk. La guerre ne laisse pas le choix. Des gens meurent dehors, des gens souffrent. Ils ont faim, froid. Ils sont seuls. J'avais pas le choix.

Le silence a nouveau. Finalement il est plus facile celui-là. Horion aimerait tellement s'excuser, lui expliquer. Lui prouver qu'il a choisi la bonne cause. Mais au final aujourd'hui il se demande quel est le bon camps. Qui a raison ? Personne. La Monarchie a laissé les gens crever sur les planète pauvres. L'empire les tue tout autant pour prendre le pouvoir. Il n'y a aucune version où les gentils gagnent et les méchants perdent. Parce qu'il n'existe aucun des deux. Personne.

- Je suis désolé. Je sais que ça ne sert à rien. Mais sache que notre lien était sincère. Je...j'avais pas le droit de m'attacher. Mais je ne sais pas faire autrement.

Que pourrait-on dire de plus à un homme dont l'empire lui a sauvé la vie alors que la Monarchie l'aurait laissé dans sa merde. Rien. Aucun des discours Jedi. Cela serait juste de l'indécence. Rien de plus. Le silence se fait une fois de plus. Dans une atmosphère pesante. Lourde. Étouffante. La respiration d'Horion s'accélère. Il sent un poids sur sa poitrine. Crise d'angoisse. Il ne veut pas. Il refuse de faire pitié devant un homme, un ami, qu'il vient de trahir. Tout comme il a trahi Addler. Horion aurait souhaite être ailleurs, quelqu'un d'autre, une vie simple où il n'aurait pas eu à s'impliquer. La vie est une sacrée merde actuellement. Il ne veut pas que ça change. C'est sa manière d'expier ses péchés.

Il se redresse, mais ne te regarde pas dans les yeux, comme tu cherches toi-même à le faire. Et c’est un rictus douloureux qui tord tes lèvres à ses mots. T’es pas assez bête pour croire qu’Horion allait commencer à te balancer des litanies convaincues, tels ces personnages dans les histoires, ceux qui se révèlent des ennemies et qui, d’un coup, se lancent sur des lyrées convaincues, diaboliques. La vie, la vraie, est autre. Le nuancé de teintes infinis, jamais tout blanc, jamais tout noir. Et à défaut de discours fracassants, Horion parle et te martèle le cœur, tout en attisant une frustration qui te fait froncer les sourcils, te braquer, pourtant, tu t’enfermes dans le silence,

Chaque homme qui trahit l’Empire, s’y oppose, s’oppose dès lors à l’humanité, crache sur son espèce, ses congénères. Horion n’est qu’un aveuglé parmi d’autres, au mieux, perdu et décalé, au pire manipulé et convaincu de son discours, soutenant une cause qui ne fait pas de sens, qui dédaigne la paix et la sécurité de la majorité pour une ignoble minorité.

Et Horion dit enfin ses premiers mots justes.

“Je sais que ça ne sert à rien.”

Et même si ça ne t'adoucis pas, ne semble pas faire mouche, te consoler dans ta perte, dans la trahison écopée, quelque part, ça te fait du bien. Horion était sincère. Tu ne te sens pas de remettre en cause cette certitude. À quoi bon la maintenir à présent, à moins qu’elle ne soit réelle ? Horion n’a pas grand chose à gagner de te le dire en dehors de s’il désire réconforter le moindrement un ami trahi. Tu ne le ferais pas sortir d’ici même si tu le pouvais, à défaut de d’autres, tu es loyal envers tes convictions et l’Empire. Et si Horion est un ennemi de l’Empire, peu importe ô combien ça te fait souffrir, tu ne peux risquer la pérennité de cette dernière pour des fragments d’amitié bafouillée.

Tu soupires, empreint d’une lassitude qui te leste les épaules.

“C’est faux, Horion. Tu as voulu trahir. Tu es venu en sachant que tu le ferais, encore et encore.. À chaque fois que tu as cachée qui tu étais, chaque fois que tu as omis, que tu as prononcé un mensonge pour te couvrir, chaque fois que tu as donné de l’information. Encore et encore pendant deux ans,” t’es mots sont teintés d’amertume. Un sourire qui ne véhicule rien de positif s’attire sur tes lèvres. “Nous ne sommes pas en guerre, Horion. Des gens vont toujours mourir, souffrir, crevé de faim ou de froid et chaque fois qu’on perd du temps avec un traître, un espion, un ennemi, on ne le passe pas à améliorer ce monde. Des gens sont constamment manipulés, trompés, poussés à monter des conflits où il n’y en avait pas et à chaque fois, l’Empire vainc et des vies sont perdues. Vous faites que prolonger ça, retarder le moment où uniformiser la situation dans la galaxie et réduire cette souffrance autant que faire se peut.”

Comment ne peuvent-ils pas comprendre. Qu’est-ce qui voile leur regard à ce point, dévore leur jugement pour le rendre à néant.

“Et on a le choix. Constamment. Et tu as fais le tien.”

Il l’a fait et tu aurais voulu que ce soit différent. Qu’il soit réellement qui tu pensais qu’il était depuis deux ans. De pas se retrouver dans cette situation ignoble, dans cette cellule, à être écouté. Et si ton discours est vendu à l’Empire, tu ne l’exposes pas pour leurs fines oreilles. Tu crois chaque mot de ce que tu dis. Et tu ne peux pas comprendre qu’il ne les comprenne pas, lui. T’inspires lentement, soupires, ton regard errant un instant sur la cellule. Reverra-t-il seulement un jour l’extérieur ?

Le Jedi épuisé releva la tête, croisant ainsi enfin les yeux de son ancien ami. Malheureusement, coupé ainsi de la Force, il ne pouvait pas percevoir les émotions de surface du pilote. Cependant, Horion n'en avait pas besoin pour deviner qu'il se sentait mal, trahi et seul. Que pouvait-il dire de toute façon face aux discours teintés de conditionnement et de lavage de cerveau. Horion comprenait les paroles, quand on n'a rien, la première personne à tendre la main prend forcément le bon rôle. Si seulement la galaxie avait cette chance. Les populations ne peuvent pas vivre ainsi. La vie a besoin de liberté, de la possibilité de faire ses propres erreurs, de son libre arbitre. Ce n'est que comme cela que les gens finissent par s'élever. Oui, certains vont sombrer dans les bas-fonds. Peut-être que la Force l'a voulu ainsi ? Après tout, dans la vie, il est indispensable qu'il demeure un équilibre. Pas de blancs, pas de noirs, juste une profonde nuance de gris constante.

- Je suis désolé, répète encore une fois le Jedi. Parce qu'il ne sait pas quoi dire d'autre. Que son cerveau tourne lentement, l'épuisement n'aide pas à réfléchir. Parce que le Jedi sait qu'ils l'ont envoyé ici pour essayer de lui arracher des aveux. Révéler pour qui il travaille, quel sont les plans. Mais Horion n'est pas si stupide. Il ne parlera pas. Même s'il meure d'envie de se confier, de s'expliquer.

- Les gens meurent Sherv. Ils meurent constamment. Ainsi va la vie, ainsi ça la Force. Il s'agit d'un équilibre constant, qui balance d'un côté ou de l'autre. Aucun être vivant ne pourra faire réellement changer les choses. Les gens ne peuvent que s'entraider, face aux difficultés. Se donner de l'espoir, se soutenir dans les moments difficiles. Une tête coupée mais dix en repousseront.

Horion sait que son discours est aussi plaqué que celui du pilote. Finalement lequel des deux est le plus conditionné ? Les Jedi ne lui ont-ils pas intégré leur propre lavage de cerveau ? C'est une croyance, une religion. Horion sait qu'ils sont perçu comme des fanatiques. Certains n'ont pas tord. Après tout, le code va à l'encontre de la vie humaine. Il demande de se sacrifier, pour les autres, constamment, perpétuellement. C'est ainsi qu'il est sensé être un gardien de la paix. Au final, il se retrouve soldat au milieu d'une guerre. Horion a l'impression de s'être fourvoyé. D'avoir été manipulé, le conseil s'est servi de lui et de son empathie. Et pour quel résultat ? Des morts ? Une bataille gagné ? Combien d'innocents ont été pris entre le feu de deux idéaux ? Sûrement déjà bien trop. Les émotions ne cessent de lui tordre le ventre. Mais Horion a l'impression d'avoir bien trop plongé pour s'échapper. Il est un peu tard pour faire part de ses états d'âmes, d'avoir des remords. Il aurait peut-être du fuir loin, quand il en avait encore l'occasion.

Au lieu de ça, le Jedi s'enfonce encore plus dans ce qu'on lui a appris. Parce qu'il a très peu d'expérience de vie en dehors de l'ordre. Formé depuis l'enfance, il se sent étranger au monde qui l'entoure, au monde qu'il est censé protéger.

- Il n'y a pas de mort, il y a la Force

Le Jedi s'accroche au Code, parce qu'aujourd'hui, maintenant, il ne lui reste plus que cela. Il n'a rien, plus rien, c'est sûrement bientôt sa fin.

- J'espère juste Sherv, que tu trouves la paix. Et que tu es heureux. Que tu connaîtras les bonnes choses que la vie t'apportera. Tu es un homme bien Sherv, n'en doute pas.

Il vient enfin chercher ton regard et tu y plonges sans hésiter. Il est tellement à bout, Horion. À bout de tout, d’une fragilité qui grignote ta colère et ton amertume, sans pour autant les étouffer au complet. Tu détestes l’idée qu’il soit là, à subir contre de l’information. Et si tu comprends que vous ne pouvez clairement pas le laisser repartir comme ça, ça te fait mal de savoir qu’il sera au mieux enfermé le reste de ses jours. Tu sais c’est quoi.

Tu peux juste imaginer la souffrance quand on a déjà goûté à la liberté avant et qu’on se la voit retirer. Quand des centaines de souvenirs nous rappellent jour après jour comme notre situation est horrible, injuste, inhumaine. Le futur n’a rien de radieux pour l’homme devant toi et malgré sa trahison, t’es incapable de retourner la veste de tes sentiments pour simplement le détester et lui souhaiter tout le mal de l’univers.

Alors t’as mal, t’as de la peine, de la colère, de l’amertume, de la rancune. Sauf que tu as une part de toi qui déteste le voir comme ça, qui déteste savoir son funeste destin. Dans un autre monde, dans d’autres conditions, tu l’aurais sauvé.

Sauf que tu peux pas. Peu importe tes sentiments pour d’autres, tu refuses de trahir l’Empire.

C’est ta limite et quiconque t’approche devrait le savoir.

Mais dans un autre monde, dans d’autres conditions, tu aurais pu écouter seulement ton cœur, seulement ton horreur qu’il soit là et tout tenter pour le sauver. Soulever des montagnes au nom de l’amitié pour lui rendre sa liberté, pour l’emmener loin de ces lieux de souffrances, de l'insensibilité des bourreaux qui tentent de lui faire cracher tout ce qu’il sait.

En attendant, Horion répète qu’il est désolé. Litanie d’excuses qui jette des baumes sur ton cœur, même si tu le nierais sans hésiter. Tu veux pas qu’on te prenne pour un traître, tu veux pas qu’on doute de toi. T’as toujours été tellement dévoué.

”Tout ça n’est pas impossible parce que l’Empire est à la tête de la galaxie. Où étiez-vous pendant que les wookies réduisaient les hommes à des riens de misère ? Où étiez-vous quand ils en avaient tellement besoin ? Pourquoi une galaxie contrôlée par des wookies, c’est correct, mais qu’une contrôlée par les humains, ça vous fait gonfler nos rangs pour mieux tromper votre propre espèce ? Vous étiez bien quand on crevait la misère ? Ça vous apportait quelque chose ? ”

T’es acide dans tes mots. Blessé, marqué à jamais par des souvenirs de ton enfance, par toutes ces souffrances traversées. Tu ne comprends pas comment des humains peuvent s’opposer à l’Empire. Comment des humains peuvent décider que leur suprématie sur le territoire n’a pas sa place.

Mais ses mots t’arrachent un rire un peu forcé. La force. Tu n’as pas cette foi inéluctable dont est affublé Horion, mais peut-être que ça serait le cas, si tu étais aux abords du vide comme il l’est en ce moment même.

”Dis ça à ceux qui meurent, Horion.”

Ton regard revient dans le sien, le soutien, plus calme.

”C’était bien.” tous ces moments, tous ces tests sur Bogwing, ces moments de déconfitures et ceux aux notes de la victoire. L’enthousiasme et les sourires échangés, leur trio avec Hada, comment ils ont dû t’expliquer encore et encore certaines choses que tu étais simplement pas outillé pour comprendre.

”C’était… Vraiment bien.” que tu répètes, avant de continuer: ”J’espère...”

Tu t’arrêtes. Tu peux pas dire tout et n’importe quoi, pas alors qu’on t’écoute, qu’on pourrait récolter des informations contre toi.

J’espère que ça ira, Horion. J’espère que la force sera encore là pour toi, après la mort. J’espère que tu trouveras aussi la paix, ceux qui te manquent, et même du bonheur. Je te le souhaite, vraiment.

Les mots prononcés par Sherveen ont un sens de vérité, il n’a pas tord et le Jedi ne cesse de remettre en doute la cause pour laquelle il se bat. Horion ne peut s’empêcher de prendre sa tête entre ses mains, laissant de nouvelles larmes coulées sur ses joues, si c’était même possible avec toute l’eau qu’il a déjà laissé sortir. Il ne sait plus quoi répondre, n’arrive plus à argumenter. La douleur des tortures le plongent dans une brume dont il pense ne plus pouvoir en sortir. Il sait qu’il est à bout, seul, abandonné par les siens, par ses nouveaux camarades. Il les a tous trahi, il me mérite. Mentir c’est mal, ce n’est pas ce qu’on lui avait appris à l’académie. Il mesure enfin les mots d’Aziel, il ne redeviendra plus jamais la même personne qui est partie. Il a vu trop de souffrances, trop de morts, trop de douleurs. Les personnes qui travaillent pour l’empire ne sont pas tous des êtres diaboliques, ils leur ressemblent, ils espèrent la même chose, la paix.

- J’étais où ? Tu veux savoir où j’étais Sherv quand les Sith nous chassaient de l’académie ? Nous traquait pour nous tuer ? J’avais faim, je fuyais la mort. Je me suis prostitué parce que je n’avais pas le choix, voilà où j’étais. Vous n’êtes pas les seuls à avoir souffert. Mon peuple a été massacré, massacré par un gouvernement qui voulait instaurer la paix. Est-ce ça la paix ?

Les souvenirs des mois de perdition lui reviennent en tête. Horion ne pourra jamais oublier ce qu’il a vécu, ce qui a commencé à marquer son âme au fer rouge. Ses clients qui venaient pour exploiter son corps. La faim qui lui tiraillait le ventre, le froid qui pénétrait dans ses os, sans pouvoir le faire partir, même quand il était blotti dans une chambre miteuse qui lui servait de lit. Il a tenté d’oublier mais aujourd’hui, tout lui revient en tête. Son corps se met à trembler sans jamais pouvoir s’arrêter. Horion tente de se recroqueviller dans la seule couverture fine de la cellule. Il a besoin d’espace, il ne peut plus respirer. Il a l’impression qu’on tente de lui couper l’oxygène. Il panique.

- Je...Un sanglot s’échappe de ses lèvres. Nous voulons la même chose, juste vivre. Je ne peux plus continuer, je ne peux plus.

La cohérence semble avoir quitté sa tête. Les Flashbacks ne cessent de trahir ses souvenirs, Aldder, Aziel, les corps qui l’exploitent, les interrogatoires qu’il a regardé d’un air impassible, les tortures infligées, tout se mélange constamment. Un cri s’échappe de sa bouche.

- Je...je veux que tout s'arrête. Je t’en prie, tue moi Sherv, ne me laisse pas ici. Ne me laisse pas.

Le temps semble ne plus avoir d’emprise sur la situation. Pourtant Horion a l’impression que cela fait des heures qu’ils discutent, l’homme est toujours là, à le regarder, pathétique créature qui craque enfin. Aucun mot ne pourra effacer tout ce qu’ils ont vécu. Chacun d’eux a raison. Il ne sert à rien de convaincre personne.

- Je suis désolé, répète-t-il dans une litanie. Pourquoi es-tu venu ici ? Qu’est-ce que cela t’apporte ? Tu es venu pour apaiser ton âme ? Dire au revoir à un ancien ami ? Maintenant que c’est fait, tu peux partir.

Ils n’ont plus rien à se dire. C’est fini, tout est fini. Il va mourir ici de toute façon. A quoi bon espérer.

- Je suis si fatigué...

Ses mots harponnent quelque chose de fragile en toi et la colère fuse, plus vite que tu l’aurais cru possible alors que ton visage se ferme et que tu recules un peu.

” Vraiment. Tu veux comparer ça avec le sort des jedi ? Un ordre qui a soutenu des esclavagistes, un ordre qui a putain de rien foutu pendant qu’on crevait de famine et d’épuisement. Ils étaient là pour qui, à part eux-même, tes jedi ? J’ai passé quinze putain d’année dans une mine à m’user et risquer ma peau, sans reconnaissance, sans considération, juste un outil aisément remplaçable. Quinze putain d’années à ne connaître rien d’autre que ça. C’est long quinze ans, Horion. J’ai pas eu d’enfance, j’ai pas eu d’adolescence et j’aurai beau tout faire pour m’intégrer, tout faire pour que ça n’ait pas l’air d’exister, ça restera quand même gravé dans ma chair et dans mon esprit.”

Tu secoues la tête, ravale tes larmes de colère et de souffrance.

”Les jedi ont cherché leur sort. Les jedi ont trahi l’humanité en se pensant à l’abri de toutes représailles. Toi aussi... Tu nous trahis aussi.”

Horion craque, se fragmente sous tes yeux et tu ne sais pas comment réagir, t’enfermes dans une froideur qui ne t’es pas naturelle, mais qui protège ces bouts de toi qui pourraient se briser, ou alors tu te fourvoies toi-même, pensant parvenir à te protéger sans y arriver, sans empêcher ces fissures d’apparaître et de s’étendre dans ta psychée.

Il te demande de le tuer.

Demande-folie. Demande-désespoir. Demande-impossible.

On ne te laisserait pas faire même si tu avais une arme. Et on aurait pas besoin de t’en empêcher, vu que tu ne serais tout bonnement pas capable de le faire. Pourtant, ça fait mal. Ami d’hier, traître d’aujourd’hui, souffrances qui se profile dans un futur incertain. Tu secoues doucement la tête, recules même d’un petit pas, rebuté par l’idée.

”Non. Je ne te tuerai pas,” souffle tout bas, à peine audible dans la cellule. C’est lâche.

Tu es lâche.

Mais même pour épargner des souffrances horribles, même sous la demande, t’en serais incapable. Tu te mens à toi=même, capable d’abattre des vaisseaux, le tableau de trophés aux innombrables victoires, parce que c’est tellement plus facile d’abattre un vaisseau sans penser aux gens à l’intérieur que de se retrouver devant eux, soumis à leur regard, l’arme pointé sur eux. C’est facile de penser qu’en termes de carlingue, d’oublier les cœurs qui battent à l’intérieur, les rêves avortés, les deuils à venir.

C’est facile de tuer quand tu ne vois pas de corps, quand tu ne lis pas d’histoire dans les regards, quand tu réduis les autres à des riens, des chiffres sur un tableau.

Alors tuer un ami ? Même un ami-traître ?
T’inspires lentement, l’écoutes dans ses derniers mots.

”Je… Je voulais comprendre,” que tu souffles.

Je voulais te revoir une dernière fois.
Je voulais que tu me dises que ce qu’on avait vécu, c’était pas que des illusions. Que j’étais pas le seul à avoir apprécié chaque moment.
Je voulais entendre une dernière fois ta voix.
Tu vas me manquer. Tu me manques déjà.
Je t’oublie pas.

Tu te détournes, avance vers la porte de la cellule, désireux de sortir.

”Aurevoir, Horion.”