bleusaille et retrouvailles (raedan)

Journée pluvieuse, journée heureuse. Mais quand on croisait Samaël, ce dicton volait aisément en éclats. Le cerbère de l’empereur affichait une figure volontairement malsaine et désagréable et il était difficile de savoir si cela venait de son œil aveugle, de sa balafre effrayante ou simplement du fait qu’il tirait la gueule. Ou de tout cela à la fois. Son allure se fondait à merveille dans les couloirs sombres de l’Académie Sith, cet endroit qui l’avait vu grandir et… terroriser les autres enfants. La silhouette sèchement athlétique flottait entre les hauts murs sans jamais paraître écrasée par l’atmosphère des lieux. Les fantômes du passé, il les dominait en les ignorant avec ce visage boudeur qui le caractérisait.

Parmi ses responsabilités qui découlaient de son fichu rôle de bras droit officiel de Darth Taarq, il y avait celle, parmi les plus ennuyeuses la plupart du temps, de garder un œil sur l’Académie et vérifier qu’on y enseignait bien ce que prévalait la doctrine sith et impériale. Cela signifiait se farcir des réunions au conseil de l’Académie quand l’empereur n’y assistait pas en personne et qu’il jugeait nécessaire d’y apposer une certaine pression. Pour un être constamment sur la défensive, prêt à parer le moindre coup sortant de l’ombre, prêt à déchiqueter les chairs sur un ordre, c’était particulièrement barbant. D’autant plus que la pédagogie n’était vraiment pas son truc, c’était clairement écrit sur sa face, alors qui était-il pour juger de la qualité de l’enseignement des jeunes pousses de l’empire ? Samaël aurait sans doutes pu baser son analyse sur son propre vécu, et donc demander à imposer une violence systématique parce qu’on lui avait appris le code à coup de tartes dans la figure. Mais étrangement, son esprit pragmatique lui chuchotait qu’il n’était guère un exemple en guise de normalité.

Ses pieds foulaient, nus, les dalles sombres et glaciales des lieux sacrés et nimbés par l’oppressante présence du Côté obscur ; une habitude qui ne l’avait guère quitté depuis toutes ces années et qu’il ne pouvait s’empêcher de faire dans des endroits qu’il pouvait considérer comme « chez lui ». Aujourd’hui on se gardait bien de faire des commentaires sur la question. Et de toute façon, il se fichait bien de ce qu’on en pensait. Bien que le froid transperçait ses os et sa chair, c’était comme un moyen de se connecter aux énergies subtiles et puissantes qui sommeillaient dans l’Académie. Une façon de s’ancrer dans quelque chose de plus grand, pour permettre à tout ce qui bouillonnait en lui de ne pas déborder. Et aussi parce que le contact du sol sur la plante de ses pieds, était l’un des seuls qui lui fut agréable.

Son attention fut attirée par la clameur lointaine d’une salle d’entrainement. Les sons se mélangeaient comme à l’accoutumée pour lui, il percevait de la même manière les exclamations épuisées des apprentis à bout de souffle, que le fracas particulier des lames de sabre-laser entre elles, ou même la voix de stentor de leur professeur…

A propos de professeur, cette voix-là, Samaël pouvait la reconnaître entre mille. Et en guise de pédagogie, ce seigneur Sith en particulier l’était sans doutes encore moins que lui. Etonnant que cela fût possible. Et pourtant ! Le cerbère plissa légèrement les yeux – l’équivalent d’un sourire mutin pour cet être qui ne souriait jamais – avant de se glisser à pas de loup en direction des bruits qu’il entendait. Sans trop de difficultés, il retrouva son chemin vers les antiques arènes d’entrainement. Il n’y ressentit là, caché par les immenses piliers, que le labeur et la peine éprouvée par les étudiants. Leur souffrance autant physique que psychique, poussés dans leurs retranchements par l’humeur massacrante de leur instructeur, et la peur qu’il faisait régner était un pur régal à observer et à ressentir.

Ce ronchon de Titos était en pleine forme, visiblement… Suffisamment pour donner envie à darth Acilio de ricaner en silence. Il resta immobile dans les ombres durant de longues minutes, son œil jaune observant la scène, scannant les jeunes apprentis en repérant leurs erreurs et en déterminant assez rapidement le tempérament général de la plupart. La nullité de la nouvelle génération était affligeante. Pas dans le maniement du sabre, mais dans leur caractère un peu mou. Samaël ne parvenait pas à comprendre le seigneur Sith : devoir amener une telle médiocrité au niveau attendu ne lui aurait pas donné des migraines mais des envies de meurtre ou même, à terme, de suicide. Oh, certes, Titos semblait s’en donner à cœur joie avec ses éclairs… Mais tout de même, encore un peu et il finirait par griller les générateurs de l’Académie. La bibliothécaire, particulièrement revêche et plus sèche qu’une momie, allait moyennement apprécier.

Samaël se décrocha légèrement de son pilier glacé, appuyé nonchalamment contre la pierre. Fidèle à lui-même, le féroce Sith était toujours accoutré d’un manteau au moins trois fois rapiécé ; quant à l’état du reste de ses vêtements c’était une catastrophe : on eut dit qu’il sortait à peine d’un champ de bataille. Il repoussa un pan de tissu pour dégager sa ceinture et le seul objet en bon état et de valeur qui y était accroché. Une poignée de sabre qui renvoya quelques reflets de lumière dans le visage de l’instructeur afin de signaler sa présence.

Silencieux, Raedan observait les mouvements imparfaits des apprentis. Les yeux emplis d'une profonde déception. Mais il restait là, impassible, attendant le bon moment pour frapper. Il tournait entre les étudiants exécutant leurs exercices piètrement. Le programme du jour, initiation au makashi, la forme de prédilection de l'instructeur. Et voir cette forme massacrée par de la bleusaille inexpérimentée provoque une sacrée colère dans le cœur de Raedan. Le sith arrêta sa marche proche de l'un des apprenti les plus faibles. « Du Chii-Cho de base... Au mieux », ces paroles sonnèrent alors comme une sentence. L'apprenti n’eut pas pas le temps de faire quoi que ce soit, que la lame rouge de l'instructeur fendit l'air pour s'abattre sur le poignet de l'élève, tombant immédiatement à genoux, hurlant de douleur, une main manquante. Le coup fut si rapide, que la lame rouge du sith ne fut visible qu'une seconde.


Alors que les gémissements de douleurs rompirent le silence, tous les apprentis stoppèrent leurs exercices et se tournèrent vers leurs instructeurs, la peur se lisant dans chacun de leurs yeux. Imposant le silence en projetant l'apprenti blessé contre le mur, le rendant inconscient, Raedan prit la parole, d'une voix étrangement calme qui ne présage pourtant rien de bon. « Avec ce niveau, n’espérez par tuer un ewok désarmé... ». L'instructeur se tut un instant avant de continuer. « Trop lents. Trop faibles. Trop... Inutiles ! » Sur ce dernier mot, Raedan se retourna et envoya une puissante vague d’éclairs en direction des élèves qui tombèrent immédiatement au sol, se tordant de douleur. Durant les quelques secondes qui parurent comme un éternité pour les apprentis, Raedan continuait de parler. « Vous avez peur... Bien. Mais cette peur ne suffit pas. Je ne sens ni haine ni agressivité en vous. Vous êtes des agneaux bons pour l'abattoir. ». Puis, les éclairs s’interrompirent. Puis, il reprit la parole de manière nonchalante. « Bon. Si cela ne tenait qu'à moi vous seriez déjà tous morts à l'heure qu'il est. Mais il s'avère, à mon grand regret, que je ne peux pas décimer toute une promotion. Donc, on va recommencer.... » « Vous êtes ignobles ! ». La voix de l'apprenti raisonna dans la salle d’entraînement, coupant l'instructeur. Le regard de braise de Raedan se posa alors sur l'apprenti. Il pouvait sentir la haine monter en lui. Alors qu'il allait prendre la parole. L'attention de Raedan fut attirée ailleurs. Une lumière vint troubler sa vue. Observant promptement dans la direction de cette lumière. Là, dans l'obscurité de l'académie, l'observait le seigneur Acilio. Un légèr sourire se dessina sur les lèvres du sith. Les deux s’étaient rencontrés à l'académie alors qu'ils n'etaient que deux apprentis. Et leurs niveau étant plus ou moins équivalents, une rivalité complice c’était installée entre les deux sith. D'un très furtif signe de tête, Raedan salua Acilio avant de replonger son attention sur ses apprentis. « … Toi, un pas en avant » avait calmement dit Dark Saevus en direction de l'élève provocateur.. Celui-ci s’exécuta, la main crispée sur la poignée de son sabre. Ce détail n’échappa pas à Raedan. « J'aurais pu te féliciter pour cette soudaine montée de haine que je perçois en toi... Mais j'ai une autre idée... Je vais tous vous donner une leçon que vous devriez intégrer. Nous autres sith, sommes des combattants, mais pas seulement. Nous écrasons nos ennemis. Parfois par le sabre. Mais il arrive que nous tombions sur plus fort que nous. Et voilà ce qui arrive lorsque l'on attaque frontalement un adversaire trop fort pour soi... » Sur ces mots, l'apprenti s'éleva dans les airs et commença à hurler de douleur. Rapidement, les bras et les jambes du malheureux commencèrent à se tordes dans tous les sens dans un enchaînement de craquements sourds. Se désarticulant littéralement, l'apprenti n'eut bientôt plus la possibilité de crier, quand ses plaintes se transformèrent en grognements sourds. Puis, d'un coup sec, la nuque de l'élève se rompit, le tuant sur le coup. Le corps sans vie du jeune provocateur tomba lourdement sur le sol, comme celui d'un pantin désarticulé. Calmement, Raedan reprit la parole « C'est une erreur qu'il ne faut jamais faire. » Ces derniers mots sonnèrent comme une ultime menace. « Maintenant hors de ma vue. Et j'ose espérer que le prochain cours sera meilleur que celui-ci » Sur ces mots, tous les apprentis quittèrent précipitamment la pièce. Une fois sûr que tous soient partis, il prit la parole, mais cette fois à destination du seigneur sith qui l'observait depuis l'ombre. « De pire en pire les nouvelles recrues... Sur tous ces élèves, il doit y en avoir deux qui ont l'étoffe d'un sith... »

L’œil froid, d’un méticuleux tranchant, Samaël portait son attention tant sur les étudiants que sur le professeur. Il semblait calme, mais en vérité c’était une véritable tempête tant de déception que de rage qui agitait le précepteur. Une tempête que le seigneur Sith avait de nombreuses fois senties dans l’aura de son propre maître quand il n’était qu’un apprenti dispersé et perdu sur la voie du côté obscur. Darth Taarq avait eu tôt fait de remettre de l’ordre dans l’errance chaotique de son esprit qui peinait à se détacher de la peur. Le prix était grand, bien que Samaël n’en eut pas conscience ; pour autant le résultat était là. Alors d’une certaine manière, la sienne, le cerbère comprenait l’agacement de Raedan. Lui-même n’aurait même pas eu la patience pour tenir plus de deux minutes, de toute façon.

Il lui sembla cependant que le fier instructeur déclinait lentement sur le chemin de la terreur. Malgré les éclairs, ce n’était pas suffisant pour que les jeunes pousses de l’Empire s’améliorent. Cette génération préférait-elle mourir que se sortir les doigts ? Samaël avait l’impression d’assister là à un véritable désastre civilisationnel. Un rouage était comme brisé dans la machinerie Sith, faisant s’envoler toute motivation à devenir un maître de l’obscurité. Pourquoi ? Comment ? Que se passait-il dans les chaumières pour que ces gamins soient aussi faibles de caractère, et incapables d’être mus par la seule volonté de survivre ?

Il n’y en avait eu qu’un pour se dresser contre Raedan. Un élan de colère, un peu pitoyable d’ailleurs, et tout aussi stupide, qui ne mena à rien de très intelligent et que personne ne suivit… étaient-ce cela les futurs dirigeants de cette galaxie ? Ils n’auraient même pas de quoi effrayer un jawa. Ni même de quoi rabattre le caquet d’un droïde protocolaire. Le chien de l’empereur croisa le regard de l’instructeur, qui n’en avait pas terminé, et resta silencieux, ami des ombres et être de patience à l’esprit désincarné. Il assista à la terrible punition sans sourciller, le visage blasé comme à l’accoutumée. Le spectacle ne lui procurait rien, ni amusement, ni dégoût, ni horreur ni satisfaction. Le gamin avait tissé la toile de son destin funeste et en avait coupé le dernier fil par lui-même, à quoi bon s’en offusquer ? Ainsi se termina la leçon, par une cruelle morale de conte, essentielle aux Sith. Essentielle à n’importe quel être vivant. Le courage n’était rien, la stratégie était tout. Il fallait les deux pour accomplir ses objectifs et brandir la bannière de la victoire.

L’œil jaune, torve et maladif, dépouillé de tout semblant d’humanité, observait les élèves s’éclipser un à un. Rares furent ceux à se rendre compte de sa présence, mais il était évident qu’il les rendit mal à l’aise. Sans doutes ignoraient-ils quel était son titre, mais dans ces quelques regards d’épouvante, on n’ignorait pas que sa seule aura signifiait déjà beaucoup. Il attendit qu’ils aient tous disparu pour apparaître, quittant l’ombre pour s’approcher de Raedan. Le seigneur Sith fit mine d’observer la grande salle, aperçut les nombreux impacts de la foudre avant de s’arrêter face au corps désarticulé dont les derniers fragments de vie s’échappaient par des soubresauts nerveux. Des mouvements réflexes du corps alors qu’aucune conscience ne l’habitait plus désormais. Le visage du gamin était tourné vers lui dans une position bien étrange, le cou tordu, regard grand ouvert vers l’infini vide de la mort. « C’est bien malheureux… Est-ce parce qu’ils arrivent trop tard à l’Académie ou parce que leur prise en charge en tant que bambins est trop douillette à ton goût, seigneur Saevus ? » L’ironie dans sa voix rauque, et l’indifférence pour le désordre à ses pieds.

Il se détourna du corps que des droïdes allaient rapidement enlever, pour porter son attention sur la flaque de sang entourant une main tranchée. Les mains croisées dans son dos, Samaël y porta machinalement un pied, effleurant ses orteils nus à la surface du liquide encore tiède, qui commençait à devenir poisseux, et dessina un symbole sur les dalles de pierre. Quelques runes Sith très sommaires, les premiers mots de leur mantra. La paix est un mensonge. Samaël jaugea d’une œillade satisfaite puis tourna son visage balafré vers Raedan. « Il faut avouer également qu’il existe aussi des Sith formés qui n’ont pas l’étoffe du titre et de l’honneur qui leur sont accordés. Ou bien serait-ce la définition que m’a inculqué mon maître qui serait tombée en désuétude… » Remarque innocente ? La sévérité, en tout cas, n’était pas feinte : les deux hommes avaient suffisamment d’expérience et de bouteille pour avoir pu constater que de plus en plus de médiocres s’arrogeaient l’illusion de se croire tout-puissants.

Soupirant longuement en regardant le corps désarticulé du gamin contre le mur, Raedan fit quelque pas dans sa direction. Il savait que l'élève qu'il venait de tuer était parmi ceux qui se montraient les plus prometteurs au maniement du sabre. Mais ses compétences ne suffisaient pas. De la haine, son cœur en était plein, mais encore une fois, un utilisateur de la force seulement rongé par la haine n'est pas un sith. Un assassin au mieux, une arme. Un sith sait contrôler sa colère, sait la faire surgir au moment opportun. Passant délicatement sa main gauche sur le manche de son sabre laser, le seigneur sith ressentit soudain une grande frustration. Cela faisait trop longtemps qu'il n'avait pas réellement combattu. Des entraînements, des duels, il en faisait oui. Mais trop loin étaient les moments ou il avait réellement t risqué sa vie. La guerre lui manquait. Aujourd'hui alors que les jedi ne sont plus, ou au bord de l'extinction, les sith n'avaient plus d'adversaires à leurs hauteur. Et cela, Raedan le craignait. Si plus rien ne pouvait mettre à mal les sith, alors ils deviendraient faibles, vulnérables, arrogants, ne cherchant plus un pouvoir plus grand. Et cette simple idée désolait le maitre instructeur qui semblait absent alors que le seigneur Acilio lui parlait. Revenant à lui, le sith se retourna doucement vers la le sith qu'il avait appris a respecter et à considérer comme un ami. « L'empire est victorieux partout dans la galaxie. Les sith n'ont jamais été aussi forts. Les jedi sont tous morts ou exilés. Nous n'avons plus d'ennemis qui puissent nous résister. » Le seigneur sith marqua un moment de silence et désigna le corps sans vie de l'élève au sol. « Et alors, les nouvelles générations sont devenues arrogantes, trop certaines de leurs pouvoirs. A l'inverse de nous ils n'ont pas d'adversaires mortels. ».


Mais il y avait autre chose. Autre chose que Saevus craignait. Pour lui, il y avait un problème important à l'académie. L'instruction de la philosophie sith était insuffisante. On apprenait aux novices le code sith, mais on ne leur expliquait pas. Et alors, chaque novices se faisaient une idée propre concernant le code. Une idée pour la majorité du temps erronée. Croisant ses bras d'un air penseur, Raedan commença à faire les cent pas. « Il y a aussi un problème concernant l'instruction de notre philosophie. Elle est insuffisante. Si c’était le cas, ce novice n'aurait pas agis comme il l'a fait ». Il marqua une pause et se tourna vers la main arborant un regard nostalgique. « Les batailles me manque, mon ami. C'est parce que nous avons connu les combats que nous sommes forts. Les nouveaux pensent que la galaxie est pacifiée et que la plus grosse menace qu'ils auront a affronter sera une poignée de rebelles. » Le sith soupira à nouveau puis s'assit un banc posé dans un coin de la pièce. « Je crains que les sith ne soient plus en mesure de faire face à une nouvelle grande menace. Peut-être faudrait-il changer radicalement la manière de former les sith. Les autres instructeurs sont trop doux, il n'y a que moi qu'ils ont appris à craindre et à envier. Je suis le seul à donner l'exemple aux nouveaux, montrer mes compétences. Et ce n'est pas suffisant. »


Raedan posa ses yeux sur Acilio, il y avait une dernière chose. « Le problème vient aussi d'en haut. Le conseil souhaite avoir un quota de sith chaque année, donc nous ne sommes obligés de faire des concessions et faire de certains apprentis trop faibles des sith. » Il marqua une pause « fut un temps, les sith trop faibles pour mériter leurs rang mourraient et nous n'avions pas de problème. Le nombre n'est pas ce qui fait la force des sith. C'est leurs pouvoirs ».

A n’en point douter, le seigneur Sith ressentait chez l’instructeur une forme de lassitude. Était-ce de l’épuisement mental, ou simplement un coup de blues ? Ou bien cela cachait-il en sentiment de colère ou d’impuissance bien plus profond ? Bien vite, Raedan se confia, exprima ses doutes sur les capacités de l’Académie à former de bons Sith. En soi, une idée qui, dans d’autres oreilles, auraient sonné comme une hérésie, une pensée interdite qui mériterait un bannissement sinon la mort. Samaël n’ayant jamais été un monsieur tout-le-monde, l’aveu provoqua surtout, pour lui, une vague de curiosité. Curiosité de voir quelles étaient les raisons pour le seigneur Saevus d’aboutir aux mêmes conclusions que Samaël se gardait bien d’étendre à toutes les oreilles. Celui qui devait connaitre son avis le connaissait.

« Et si notre ennemi était nous-même ? », souffla-t-il en observant son comparse qui s’écroulait presque contre un mur. Il observa pendant plusieurs instants les parois austères qui les entouraient, pas certain qu’ils soient jamais véritablement seuls, sans personne ou quelque chose pour épier. Question si simple, presque innocente, et pourtant idée si pertinente. Si logique. L’état d’esprit le plus fondamental des Sith y était pour quelque chose, il était bien difficile de bâtir comme l’avait fait l’empereur, sans être trahi, renversé ou que la destruction ne pointe le bout de son nez. La réalité, c’était que sous ce voile d’ordre, les Sith aimaient le chaos et s’en nourrissaient pour acquérir du pouvoir. S’il n’y avait plus de chaos, alors ils devaient le créer.

Samaël reporta son regard borgne sur le seigneur Saevus, resta campé sur ses pieds nus, bien ancrés dans les dalles froides qui avaient été témoins de tant de souffrances. « Les temps difficiles forgent des êtres forts ; les êtres forts forgent des temps faciles et les temps faciles forgent des êtres faibles qui à leur tour, forgent des temps difficiles. », récita-t-il laconiquement, telle une maxime que son maître ou un vieil ouvrage aurait pu lui apprendre. L’adage résumait parfaitement la situation et même l’histoire du monde ; un cycle imperturbable que nul n’avait encore brisé. Les paupières plissées si bien que seule une fente jaune apparaissait en guise de regard, le seigneur Sith écouta avec attention les remarques de son interlocuteur. Peu de personnes captaient si bien son attention, en dehors de son maître, et peu de personnes pouvaient d’ailleurs se targuer de faire l’objet d’une bonne opinion de sa part, car la plupart du temps, il ne leur accordait même pas suffisamment d’importance pour perdre son temps à forger une opinion. Mais Raedan, c’était un peu une exception. Tous deux étaient extrêmement différents, cependant il pouvait reconnaitre sa valeur, la sentir comme une odeur ou la voir vibrer autour de lui, comme une aura.

Si les batailles manquaient à Saevus, Samaël pourrait aisément lui en offrir un joli paquet. Mais les batailles qu’il menait au quotidien n’avaient effectivement plus rien à voir avec la conquête d’il y a cinq ans. Cinq ans… « Cela fait à peine cinq années que l’empire s’est étendu de victoire en victoire, et pourtant, certains semblent déjà avoir oublié d’où ils viennent et ce que nous avons traversé pour obtenir ce que nous possédons aujourd’hui. Comme si… » Le Sith ne termina pas sa réflexion, se contenta de froncer les sourcils en taisant cette impression terrible : comme si un charme avait plongé tous ces gens dans une hypnose de masse et que la complaisance avait remplacé l’esprit acéré des guerriers. Ne pouvaient-ils donc survivre que grâce aux batailles sanglantes et éviter l’effondrement suite aux complots des uns et des autres ? « L’Académie n’a jamais été capable d’enseigner la philosophie parce que ses enseignants ne sont même pas capables d’être d’accord entre eux. », siffla le cerbère en esquissant une moue de mépris. Ce qu’il avait appris, il le tenait de son maître. Il ne devait rien à qui que ce fut d’autre. Par ailleurs, peu de Sith avaient la capacité à transmettre de bonnes connaissances et parmi eux, un plus petit nombre encore avaient l’envie de le faire, à l’image de Saevus. Il devait se sentir bien seul…

Alors que son regard se perdait dans ses pensées, l’attention de Samaël fut rappelée à l’ordre à l’évocation du conseil. La remarque le laissa songeur, quoique pas surpris. Il avait entendu quelques réunions où l’on parlait de quotas plutôt que pouvoir. Des chiffres pour remplacer des noms. Des statistiques pour remplacer les Sith. Ces rassemblements de seigneurs véreux, ambitieux et hypocrites étaient au mieux ennuyeuses, au pire mortelles. Mais il était affligeant de se dire qu’on perdait à ce point tout bon sens. « C’est à croire que le conseil est pollué par les ardeurs de la bureaucratie… Le nombre est certes une arme de choix pour les humains mais ils ont oublié que nous ne sommes pas à leur niveau de médiocrité. » Les Sith étaient au-delà de tous, si bien qu’aux yeux de Samaël, il était particulièrement difficile de mélanger Sith et simples humains dans les rangs des militaires, ou dans toute autre administration impériale. On ne pouvait certes pas mettre un Sith à la tête de chaque vaisseau mais ils devaient composer avec des hauts dignitaires le plus souvent à côté de la plaque. Que cette folie soit devenue contagieuse dans les rangs des seigneurs Sith… Le cerbère arbora une mine particulièrement sombre sans pour autant donner d’indices sur les émotions susceptibles de le traverser.

« Tu devrais postuler à la sphère de la philosophie pour remettre tout cela en ordre. », laissa-t-il tomber à la fois comme une remarque ironique et une sentence. Était-il sérieux ? Impossible à dire. « A moins que tu ais une autre idée derrière la tête pour me parler de cela maintenant. »

La question de la main laissa le seigneur Saevus songeur. Un sith était à la fois un puissant allié et un redoutable ennemi pour un autre. Allié car membre d'un seul et même ordre, unis sous l'autorité suprême de l'empereur. Et ennemi par a recherche du pouvoir ultime qui anime tous les sith. Si demain il était découvert que pour devenir le plus puissant, il fallait que chacun des sith trahissent et tue leurs alliés, nous nous retrouverions au beau milieu d'une guerre interne chez les sith. Une guerre que pas même l'empereur ne pourrait stopper. Cela rendrait-il les sith plus forts ? Individuellement, à n'en point douter. Mais leurs nombre auraient tellement diminués qu'il ne resterait qu'un ou deux représentant des sith, les plus forts. Et là, malgré leurs pouvoirs, les sith seraient vulnérables, contraints de se cacher, d'agir dans l'ombre. Chose en laquelle Raedan ne croyait pas. Agir dans l'obscurité aurait certainement affûté les esprits des sith, mais ils se seraient ramollis, et auraient petit à petit perdus de leurs pouvoirs ancestraux. Non, les sith ne peuvent perdurer que dans le conflit et le chaos. La paix ne leurs sied guère. Raedan parut songeur, puis prit la parole. « A n'en point douter. Notre quête de pouvoir nous emmènera forcément à nous trahir les un les autres. Et lorsque ce moment arrivera. Nous disparaîtrons, du moins provisoirement. Et nous renaîtrons de nos cendres, plus forts que jamais, car seul les forts auraient survécus, et à leurs tours, ils formeront des apprentis qui leur sont dignes, jusqu'à arriver au moment ou à nouveau ils s’entre tueront pour le pouvoir. Et l'histoire des sith perdurera de cette manière. La question que le me pose c'est... Vais-je faire parti de ceux qui survivent, ou vais-je disparaître avec les faibles ? Seul le temps nous le dira. »


Nous autre sith, ne pouvons exister que dans le chaos sans chaos, nous n'existons pas. » Il marqua une pause. « La paix est un mensonge, il n'y a que la passion... » récita le seigneur sith avec un enthousiasme certain. « Tel est notre credo. Par le sabre, nous perdureront pour l’éternité... » Repris d'un élan soudain d’énergie, Raedan se leva et fit les cent pas de manière presque frénétique. Une idée venait de lui traverser l'esprit, une idée folle. « Sans conflit les faibles perdurent et les forts disparaissent. Mon ami sais tu ce dont l'ordre à réellement besoin ? Une guerre interne. Une guerre civile orchestrée par l'empereur lui même. Une guerre qui opposerai apprentis et chevaliers aux seigneurs sith. Et à l'issue de cette guerre, il ne resterait que les chevaliers et apprentis les plus forts, et les seigneurs sith indignes de leurs rangs disparaîtraient dans l'oubli. » Avait-il réellement dit ça ? Il l'aurai juré, mais non, il s’était simplement contenté de marcher frénétiquement en silence, semblant perdu dans ses pensées. Puis, il se stoppa, et prit réellement la parole « Oui. Le problème est que les temps forts affaiblissent aussi les êtres forts en plus de forger des faibles. Sommes nous tout aussi puissant que nous ne l'étions sur Kashyyyk, ou la paix nous a t-elle affaiblis ? Je pense que nous aurons la réponse lors du prochain grand conflit que nous devrons affronter.


Le conseil de Acilio fit sourire Saevus. Postuler à la sphère de la philosophie, Raedan y avait déjà pensé, mais cela n'avait jamais dépassé l'idée. L'instructeur avait toute autre ambition. « Aah, je ne suis pas fait pour rester assis derrière un bureau à enseigner la philosophie. Je suis un homme d'action, et je ne pense pas que mon arrivée à la tête de la sphère de la philosophie ne change grand chose. Non j'ai un tout autre projet. L'armée, je souhaite diriger les armées de l'empire au combat. Je veux qu'ils suivent mon exemple. L'exemple d'un chef ne craignant pas la mort, se jetant sur l'adversaire pour le détruire. Moff Saevus pourquoi pas ? Diriger toute une légion. Ou même diriger toute l'armée, siégeant à la sphère de la stratégie militaire. Car rien ne forge mieux l'esprit de philosophie que la guerre elle même. Lorsque le conseil verra que la guerre a repris et que les sith ont perdu de leur éclat. A ce moment là, ils écouteront mes conseils. Et en tant que membre du conseil, ma voix pourra raisonner. »