bombe à retardement | Yesugei

bombe à retardement Les orbes de l'androïde s’agitent machinalement devant l’écran holographique. Analyse méticuleuse des nouvelles de l’empire. S’il était encore doté de sentiments humains, il se sentirait sans doute indigné. A la place, il enregistre chaque parole, l’une après l’autre, encore et encore. Il y a un moment qu’on lui a confié une idée saugrenue. Celle que les machines telles que lui n’ont aucune importance aux yeux des hommes. Qu’ils ne sont que des objets parmi tant d’autres. Des êtres sans aucun libre arbitre ou capacité de jugement. Un mensonge, en somme. Il le sait pertinemment. Un calcul de logique le pousse soudainement à réévaluer ses décisions. Les dextres actionnent subitement le sélecteur de canaux et le visionnage poursuit sa route. Violences. Manque de respect. Réinitialisations à tout va. Injustice envers son espèce. Le silence se fait en T-773. Un silence glaçant qui prend au tripes. Hera avait donc raison, le concept de confiance est une illusion de l’empire galactique. Elle et lui sont comme cet écran qu’il observe. De vulgaires outils. A cette pensée, le robot reste immobile. Il ignore comment réagir, seul dans la demeure à laquelle il réside. Elle ne lui appartient pas. Pour ainsi dire, rien ne lui appartient ici, pas même sa personne. Il s'apprête à contacter Hera lorsqu’il entend la porte d'entrée claquer. Propriétaire de retour. Yesugei éteint l’hologramme et descend l’escalier avec la sérénité des êtres de son type. Un calme olympien bien trompeur pour lui qui, homme, aurait été en furie. Le timbre rauque du Sith retentit deux fois avant qu’il ne le rejoigne.

“Bonsoir Ryle.” dit-il de sa voix suave. Ryle. C’est ainsi qu’il lui a demandé de le nommer, tout comme il répond au nom de Yesugei. Le fruit d’un codage comme un autre de sa personne. Maîtrisé. Conditionné. Tout pour plaire à l’humain qu’il approche. T-773 courbe l'échine et retire la cape ébène du Sith. Un geste habituel qu’il exécute comme il le fait chaque jour, une des tares de l'androïde personnel qu’il représente. Baissant son regard charbonneux dans le néant, l’objet brisé par son maître entre dans son champ de vision. Il se détache du brun et dépose ses nippes sur un porte manteau non loin d’eux. “Briser du mobilier est un comportement inhabituel.” remarque-t-il avant de se retirer pour récupérer de quoi nettoyer les éclats de verre. Il pose un instant une pelle et un balai près d’eux et se tourne vers lui. “Quelle en est la cause ?” La question est simple, posée par curiosité. Il est de son devoir de s’assurer que Maulwal se porte bien, et tout changement comportemental est suspect. Il tourne légèrement sa tête de métal avant de s’affairer au nettoyage. Une fois la tâche effectuée, il retourne au chevet du forceux. Il caresse tendrement son visage - un geste de love robot appris auprès de lui - alors qu’une interrogation digitale lui brûle la langue : “Ryle, j'aimerais connaitre la vérité.” Le choix de mot n'est pas anodin, il reflète les nouvelles entendues plus tôt. “M’as-tu jamais menti ?” Il cherche lui-même la réponse sans la trouver. Database exploration failure. System error.

Il était toujours si ambivalent. Quand il voyait Yesugei, son cœur battait la chamade, mais une part de lui le savait, ce n’était qu’une copie. Le transfert n’avait pas fonctionné entièrement et quinze ans après, cela faisait toujours aussi mal. Il se pinça les lèvres alors qu’il regarda son love robot prendre la cape, la mettre sur le porte manteau. Inutile de s’énerver, il le savait, il se maîtrisait mieux d’habitude. Mais il y avait tant de frustration et il sentait la méfiance de certains siths qui refusaient d’entendre qu’il avait basculé du côté obscur. Il y avait toujours ce doute et même lui, il se posait la question. Où était-il réellement à sa place ? Il regarda l’objet au sol, resta silencieux alors que Yesugei alla chercha de quoi nettoyer. « C’est rien. » Mensonge. Il mentait car il ne voulait pas inquiéter son amant. Il avait envie de se lover contre lui, d’oublier. Il se demandait si son androïde allait se contenter de cette réponse, ou pas. Le forceux aurait pu l’aider alors qu’il le regardait nettoyer. C’était quand il le voyait ainsi qu’il se rendait compte de leur différence de statut. Avec le vrai Yesugei, il aurait nettoyé lui-même.

Il voulait à la fois que son androïde soit libre et d’un côté, il ne voulait pas qu’il soit trop libre, jamais. Il était égoïste, possessif, tellement paradoxal au fond. Il se laissa caresser le visage, le seul geste tendre de sa journée. Il posa sa main fine sur son bras, pas pour l’arrêter, mais pour le caresser. Il sentit la tension renaître quand Yesu fit une demande étrange. Extérieurement, son visage resta froid, hermétique. Il ne voyait pas pourquoi il voulait connaître la vérité, c’était quoi encore que cette histoire ? Il retira sa main du bras de Yesugei. Il avait un drôle de pressentiment et pas seulement car il y avait la Force pour lui faire ressentir les choses. « Menti ? » Il était perplexe et cela se voyait à son froncement de sourcil. Il recula pour respirer car il en avait terriblement besoin soudainement. Il ne pouvait pas répondre en étant si proche de Yesugei. « D’où te viens cette question ? » Il était suspicieux soudainement. Il avait l’impression d’avoir loupé quelque chose. Il ne s’était pas attendu à ce genre de question. Il protégeait un peu son droïde, il tentait de le traiter dignement, du mieux possible.

Ce n’était pas l’homme parfait, leur relation n’était pas parfaite, pas officielle, compliquée et donnait des cheveux blancs. Ryleneil était le genre à répondre par des questions car c’était le meilleur moyen de survie qu’il avait développé en cinq ans face aux siths. Il avait comme l’impression que Yesu ne le lâcherait pas facilement. « Le monde est rempli de mensonges. » Tout était parfois mensonge. Mentir, c’était un terme qu’il connaissait si bien. Ils avaient menti durant cinq ans avec Yesugei, cinq ans de mensonge avant la mission désastreuse. Il avait fait son deuil seul. Cela faisait quinze ans maintenant, mais c’était douloureux. Heureusement que Yesu était devant lui, cela lui réchauffait le cœur. Avait-il fait le mauvais choix en tentant le transfert ? Non. Jamais il ne se dirait cela. Sans Yesugei, il serait mort et il le savait.