love machine (hadassah)

Elle a à peine le temps de récupérer ses affaires. A peine habillée, et encore. Il lui manquait encore de fermer sa robe pour que tout soit bon, peut-être même remettre ses cheveux. Vega L-373 se fait déjà renvoyée, une fois l’affaire faite. Ce client-là n’est pas le plus aimable ni le plus aimant. Il a juste besoin d’elle pour assouvir ce qu’il veut assouvir. Elle n’a pas réellement réussi à le charmer. Il est même brutal et sur sa peau, Vega voit des marques apparaitre. La pègre a poussé ce réalisme jusque-là. Elle n’a pas capable de saigner mais c’est suffisant pour exciter les âmes les plus sadiques. Lui, ça ne l’a pas arrêtait alors qu’elle pleurait de douleur, son codage l’interprètant de la sorte avec la force que mettait l’homme tandis qu’il la tenait.
Vega se mord la lèvre et son organisme se fait un check up simple. Elle n’a rien d’endommagé mais les bleus ne disparaitront pas avant quelques jours. L’androïde termine de se rhabiller alors et sort du couloir pour aller dans les salons mis à disposition pour attendre les clients.
Dans sa liste, elle se rappelle alors qu’elle doit voir Hadassah. Cela la met un peu de bonne humeur mais la tristesse continue de poindre comme un mécanisme qu’elle ne peut éteindre. Elle aimerait être plus contente que cela mais subitement, elle ne trouve rien de joyeux à tout cela et son codage continue à lui asséner des un et des zéros qui lui donnent le cafard. Où est Bram ? Elle espère le voir bientôt et elle voudrait le supplier de lui laisser la carte. Elle n’en fera rien, elle ne partira même pas. Pour aller où ? La pègre la retrouvera de toute manière et ce n’était pas drogué de créateur qui pourrait tant l’aider…
A la pensée de Roymar qu’elle a revu quelques jours plus tôt, Vega sent sa tristesse s’accentuer. Elle ne sait toujours pas quoi penser de lui. Elle sait juste qu’apparemment il est son créateur et qu’il l’a perdue. Mais elle ne pouvait pas rester plus longtemps. Si la Ruche la retrouvait chez lui… Elle ne voulait pas qu’il lui arrive quelque chose quand bien même était-elle ambivalente envers lui.
Vega L-373 se reconcentre alors sur le moment présent et son regard tombe sur la femme qui n’est autre que son ami. Tout du moins, c’est ce qu’elle lui a dit. Un sourire doux se dessine sur les lèvres de Vega qui vient la prendre dans ses bras.
« Hadassah, je suis contente de te voir ! » dit la love robot avant d’entraîner la jeune femme dans une salle où elles y seront au calme. Pourtant, à peine la porte refermée, Vega a l’impression que ses barrières tombent et elle se mord la lèvre pour ne pas pleurer.
Combien de temps devra-t-elle encore subir tout cela ?

Elle a fait la route en silence. C’est quelque-chose qui n’existe pas à la capitale, le silence. Il n’y a nulle part de place pour le vide, alors elle s’efforce de serrer les dents en regardant ses bottes pour ne pas faire entrer le bruit qui existe dans les yeux de ceux qu’elle croise. Dans ses gants, Hadassah peut sentir le petit paquet qu’elle fait jouer entre ses doigts et se concentre sur le poids balloté par la démarche franche. Elle ramasse ses membres d’une façon chaloupée, tout à elle. Elle est droite, pourtant, mais tout se contracte sous les regards. La mâchoire, les phalanges, le ventre, la poitrine, les lèvres. Sa présence s’écrase. Il y a une logique à sa nature, si prompte à ne jamais vouloir s’éveiller. On ne regarde pas Hadassah parce-qu’elle se dérobe à l’instar des fantômes. Elle veut s’affranchir de cette attention que l’on pourrait lui donner, celle qu’elle ne demande pas. Le visage est sans humeur, elle ne fait que s’élancer à travers les rues, entre les silhouettes bousculées.

Elle n'aime pas ce sentiment, celui de reposer pied au sol. Dans l'espace, la solitude est habitée par quelque-chose d'autrement plus serein que toutes les petites servitudes quotidiennes. Hadassah a le mal de terre. La consolation d'avoir quitté le destroyer quelques heures plus tôt ne se loge seulement que dans la satisfaction de laisser derrière elle les deux adariens, pour lesquels seule la bonne santé du commerce du ryll n’avait semblé trouver grâce à leurs conversations. De retour de Tibrin, où s’était affectée une station à un point stratégique de la Bordure Médiane, il eut été question pour l’impériale de remettre en ordre ses affaires avant de descendre dans les égouts de la ville. Oter le double boutonnage en laine de gaber, se débarrasser des bottes en duracier, retirer les épingles de sa plaque d’insignes, rincer son visage décousu par la fatigue. Pendant quelques instants, elle s’était affaissée aux bordures de son lit défait depuis des semaines, et l’usure qu’avait craché le manque de sommeil s’écrasa lourdement aux coins de ses paupières. Un tout petit moment.

Lorsque l’hologramme se mit à graillonner, trois heures s’étaient écoulées depuis le tout petit moment et les effets de l’apesanteur sur son estomac lui avait donné des suées soudaines. Dehors les étoiles sont déjà tombées, c’est le moment pour la vermine de sortir de ses quartiers. Les néons obstrués des enseignes nocturnes ont commencé à crépiter et c’est une toute autre vie qui émerge. Elle a fait de son mieux pour se défaire de tout ce qui marquait l’Empire sur sa personne et un simple blouson misérable aux manches écornées fut enfilé par-dessus la surchemise. Se coudoient les ruffians dans des relents de vies faussement dissimulées aux instances de la ville, des espèces qui trouvent leurs comptes sur les marchés noirs et les trafics de tout genre. La barrière des langues ne trouve aucune frontière lorsqu’il s’agit d’argent.

Devant l'Hyperion, on sait bien qu'Hadassah ne vient pas pour ouvrir ses lèvres à la luxure. Elle serre trop les quenottes pour ça. "Ne fais pas l'idiot et laisse moi entrer, Pritchett." L'impériale n'a jamais su comment apprécier la trogne du toydarien. Il se dégueule depuis les entrailles. En se penchant par dessus son interlocuteur, sa voix semble moi chevrotante. "J'ai dit ; laisse moi entrer." Ils se regardent un moment, avant qu'il ne lui cède. L'endroit pue; il pue la mort de la décence et les victoires orgueilleuses, la bataille des corps sur les autres. Les lumières peuvent être aveuglantes et les visages aguicheurs, il n'y a rien qui puisse le sauver à ses yeux. Elle sait qu'en son ventre s'éteint une vie qu'elle a cœur à emporter hors de ces moisissures. Dans les couloirs, ça ricane et ça halète. Ses semelles collent sous l'alcool renversé lorsqu'elle se fraie un chemin parmi la clientèle, se ferme aux sollicitations mâles et femelles, décline quelques propositions. De loin, elle a vu la silhouette élancée, le visage si doux de celle qu'elle est venue rencontrer. Vega L-373. Vega. Simplement Vega. Les numéros ne comptent pas, ils ne comptent plus.
Hadassah répond à son sourire et se laisse entraîner à sa suite, non contrariée d'échapper à l'ambiance du salon.

"Tiens." De sa poche, elle lui tend le bijou enveloppé d'un tissé de fortune. "Je l'ai acheté sur Tibrin. J'ai pensé qu'il te plairait."  
Mais quelque-chose ne va pas. Le silence tombe, et s'ourdit entre elles une prémice discrète. Alors d'abord, l'ingénieure se ploie devant la jeune femme et sa main vient chercher le poignet chaud. Devant les bleus, elle ne parle pas, parce-qu'il n'y a rien
à dire de plus. Ses doigts à elle tremblent un peu lorsque son sang gronde. "Vega, raconte moi tout ce dont tu te souviens. Raconte moi ce qui s'est passé. Parle moi de Bram." La voix d'Hadassah ne s'élève jamais vraiment sur des tonalités menaçantes, elle n'a pas appris à parler avec le ton. Mais, lorsque son visage se redresse pour rencontrer le regard confit de son amie, il y a dans ses frémissements la naissance d'un incendie. Le kérosène s'est déversé un peu partout.
Il ne s'agit plus que de l'allumer.