let's play pretend - remus

La pluie qui tombe, lancinante. Taryn regarde les milliers de gouttes s'écraser avec régularité sur la vitre impeccable, la main au creux de son menton. Elle lâche un bref soupir en jetant un regard sur l'extérieur brumeux. Sale temps. Derrière elle, des androïdes sont en train, comme à leurs habitudes, de faire leurs tâches ménagères habituelles. Taryn a envie de reprendre chacun d'entre eux lorsqu'ils s'adressent à elle en l'appelant Mademoiselle. Votre Altesse, a t-elle envie de corriger machinalement. Mais elle ne le fait jamais, elle se contente de le penser. Comme si cela pouvait changer quelque chose. Un sourire triste étire ses lèvres tandis qu'elle se perds dans ses pensées. Elle ignore ce qu'elle fera aujourd'hui, elle ignore ce qu'elle fera demain. Elle attends, toujours, qu'on la fasse appeler. Et cela peut durer des jours, ou des semaines.

Elle ignore que son attente touche à sa fin. Un androïde vient lui apporter un message tout droit venu du Palais Impérial. Lorsqu'elle entend cela, Taryn s'arrache à la fenêtre pour se saisir du mot qui s'affiche dès qu'elle le touche. Elle était invitée -elle sourit à ce mot- à se rendre dans la journée à la cérémonie d'intronisation du nouveau chancelier de Naboo. Ses sourcils se froncent. Un nouveau chancelier? Ses lèvres se serrent. Elle se retourne vers l'androïde qui tient un paquet qu'elle ouvre pour découvrir une tenue. Non seulement on la force à se rendre à une cérémonie dont elle aurait préféré ne pas entendre parler, mais en plus on l'habille. La robe était noire, évidemment. Soit. Elle s'y rendrait. Elle ferait bonne figure. Elle n'avait pas le choix.

⁂

Le musée galactique. Tout le monde s'y était rendu après la cérémonie officielle qui avait eu lieu plus tôt, au palais impérial. Comme à chaque fois, remettre les pieds dans l'endroit où elle avait grandi avait été difficile... Comme à chaque fois. Elle tient une coupe dans sa main, mais ne la boit pas. Taryn est d'ailleurs décidée à ne pas la toucher. Elle évolue, au milieu des autres invités, presque tous vêtus de couleurs sombres, comme elle. De simples chaînes en or viennent rehausser sa robe d'obsidienne, ainsi que ses cheveux flamboyants. Autrefois, on se serait sans doute retourné à sa vue, mais désormais elle faisait parti de la plèbe.
Ses yeux errent sur la foule. Personne d'intéressant. Mais elle se doit de faire bonne figure, alors elle colle sur ses lèvres un léger sourire, à peine perceptible cependant, mais juste ce qu'il faut pour ne pas faire la tête. Quand enfin, elle le voit.

Taryn se dirige lentement vers lui. Remus Kirk. L'homme du jour. L'homme de Naboo. Elle sent ses bras se couvrir de chair de poule et elle lutte pour les réprimer. Elle n'oublie pas que c'est un Sith, elle n'oublie pas que c'est l'un des responsables de sa chute, et elle n'oublie pas que si il le voulait, elle pouvait mourir, ou vivre. Son sourire se fait plus grand, tendit qu'elle s'assure que personne n'accapare son attention à part elle. Elle s'arrête devant lui. Si son sourire semble chaleureux, ses yeux sont glaciaux. Elle doit faire semblant, parfait.

« C'est sans doute une des plus belles cérémonies qui m'ait été donné de voir » susurre t-elle, mensonge. Elle en a vu, d'autres, et des plus belles. Cette cérémonie, ça n'avait été ni plus ni moins qu'une énième preuve de la puissance de l'Empire. Elle jette un coup d'oeil à un couple qui se tient à côté du nouveau chancelier, des personnes qu'elle ne connaît pas, alors elles ne sont sûrement pas importantes. « Ma présence ne vous gêne pas j'espère Seigneur Kirk? » continue t-elle. Pourvu qu'elle le gêne, pourvu qu'elle l'ait  coupé. Taryn se sent si infantile mais parfois, cela fait tellement de bien. D'autant plus qu'elle aime jouer avec le feu. Terriblement. Cette sensation de danger, cela ne rendra sa victoire que plus douce... ou sa défaite plus amère.
Elle tourne ensuite sur elle-même pour montrer sa tenue « Comment me trouvez-vous ce soir? Je porte bien les couleurs de l'Empire n'est-ce pas? » Elle plante son regard dans le sien, toujours souriante.

now is the winter of our discontent Un. Deux. Trois. Quatre. Cinq. Il aura fallu pas moins de cinq soupirs à Naboo pour enfin posséder son propre chancelier. La jeunesse étalée au visage, un air modeste aux babines, l’éphèbe écoute le discours du chancelier suprême. Son silence intérieur est palpable quand bien même l’oeil vif balaye la plèbe un instant, empli d’espoir pour les rejetons de l’Empire et le futur qui les attend. Une galaxie parsemée de machines pour exécuter le labeur des malheureux. Des hommes libres, indépendants, dont le solde se veut enfin louable. Chromium nerf d’une guerre constellée qui a laissé sa trace et en a effacé d’autres. Kashyyyk annihilée par l’astre noir. Sombre vestige d’un temps révolu. C’est ici qu’une nouvelle page se tourne pour Remus. Il baisse respectueusement son regard charbonneux quand on le présente aux sujets du globe qu’il domine enfin. Lui qui n’a jamais véritablement rêvé de pouvoir s’en retrouve couronné. L’ironie est implacable et le laisse placide lorsqu’on le félicite tour à tour. Si le Sith a appris à maîtriser la Force à travers la colère et la violence, il demeure une force tranquille de son état. La tête pensante de Naboo qui se déplace tel une ombre parmi la mêlée. Il n’a pas le temps d’admirer les œuvres qui l’entourent ni l’architecture substantielle du musée galactique. Le phrasé pompeux de ses compères l’accapare. Passant d’une pogne à l’autre, il s’éloigne enfin de Taarq et ses sbires pour s’engouffrer entre des visages inconnus. Kirk déteste toujours autant les courbettes propres à son rang. Loin du maniérisme impérial, il préfère la converse pure et dure, presque crue qui se fait entre lui et son supérieur qu’il ne voit déjà plus. Il tourne le crâne et dès lors il la voit enfin. La princesse. Il reconnaîtrait sa blondeur entre mille. Une légende qu’il n’avait vue que sur les pièces de monnaie, il y a longtemps. Immédiatement et presque par habitude, voilà que le loup courbe l’échine. La meute est maintenant à ses pieds. Elle lui a glissé des doigts comme du sable. Pauvre gamine, songe-t-il brièvement comme s’il lui avait chipé ses jouets. Tous autant qu’ils sont. Il s’attarde un instant sur l’acier de ses yeux avant de lui adresser un sourire. Un seul. Évanoui aussi vite qu’il s’est esquissé sur son minois masculin. Elle commente la cérémonie et il lui répond avec une froideur accablante : « Votre présence, princesse, m’honore plus que vous ne l’imaginez. » Sa voix grave retentit contre le marbre qui les entoure. « Personne d’autre n’a profité de ce spectacle. » Il marque une pause. « Je suis Darth Kirk à présent. Et vous... » Il laisse planer le silence. Rien. De toute évidence. Il l’observe comme s’il lisait en elle. « Le doré cage vous va au teint. Que pensez-vous de la miséricorde qui se tait soudainement dans l’univers ? »

Sa présence l'honore ? Elle n'y croit pas. Elle n'est qu'un pion, un objet de leur victoire, de sa victoire. Le silence qui plane ensuite lui apporte la réponse. Si elle avait été plus jeune, elle aurait senti son sang affluer dans ses joues et la morsure brûlante de la honte. Mais elle n'était plus jeune, plus innocente ni naïve.
Son cœur se serre légèrement, l'espace d'un instant. Cage dorée. Qu'elle déteste ces mots qu'elle ne connaît que trop bien. Toutefois, nulle trace de contrariété ou d'inquiétude ne vient rompre son masque parfaitement lisse. Elle sourit même, un sourire si faux, mais qui sonne vrai. Taryn a l'habitude de mentir, de prétendre. Autrefois c'était un jeu, désormais c'est une nécessité.
« Penser ? » répond t-elle presque dans un murmure, dans un souffle bref.  « Penser ? Je dois penser maintenant ? » Un sourire, plus vrai, plus léger, étire à nouveau ses lèvres. Penser, c'est dangereux. Taryn ne doit pas penser, et ne doit surtout pas donner son opinion sur les événements qui se produisent dans la galaxie, elle ne doit pas donner son avis sur tout ce qui touche à la politique de près ou de loin. Oh, elle mentait des fois. Mais elle ne pouvait pas mentir à cet homme-là, ni à ceux qui étaient comme lui. A jouer trop avec le feu on risquait de se brûler, et Taryn avait une conscience trop aiguë qu'elle ne pouvait pas se le permettre, que sa vie en dépendait probablement. Elle n'était pas vraiment utile, plus vraiment.

« J'imagine que désormais, vous serez encore plus occupé que d'habitude... » continue t-elle tout de même. Son ton laisse percevoir du regret, comme si il allait lui manquer. Ce qui ne serait pas le cas. Mais elle savait qu'il le savait. Elle se saisit d'un verre qu'un androïde apporte sur un plateau, le lève en l'honneur de Darth Kirk, nouveau gouverneur, avant d'en avaler une petit gorgée, ses yeux plantés dans les siens.