[Ghosting] | Icarus & Rhil

L'impression de solitude devrait être écrasante. Ils sont tous partis. Spectateurs, propriétaires, agents de la pègre, bookmakers, argent sales, androïdes encore capables de marcher sur leurs deux pieds ou roulettes, certains tractés par d'autres sur des chariots. Il ne reste plus que Rhil et les pièces détachées du jour. Le labyrinthe des couloirs d'accès, remises et ateliers, dans les coulisses de l'arène est plongé dans le noir opaque : juste ce qu'il faut de diodes d'urgences pour permettre de s'orienter et ne pas trébucher sur des restes métalliques des combats. Il reste : le bruit de quelques machines, droïdes et moteurs, des rononnements de monstre endormis. Il reste : les bips de C-1, l'astromech a la grande gueule qui pestifère en travaillant. Il reste : le responsable de l'arène qui bosse à pas d'heures, penché au-desssus d'un corps de métal inanimé, à demi désossé. A la place des tripes et des os : des circuits, des cables, des morceaux de métal qui ne ressemblent plus à rien. Il reste : la lueur de sa cigarette au bout de ses doigts, la lueur du laser qu'il utilise pour chauffer le métal, le bruit des pinces qu'il pose et repose. Il reste: la voix de Rhil qui ronronne dans l'obscurité d'un ton paternel et rassurant - si ce n'était son débit trop rapide, comme toujours. « - Ca va aller, je te tiens… Bientôt fini. C-1, tu as le laser s’il…  » C-1 ne répond pas. C-1 est très occupé … à foutre le camp - ou plutôt à aller voir quel était le bruit qui a fait dresser les poils sur l'avant-bras de son ingénieur de propriétaire et ami.

Rhil reste immobile, le droit rigide à son établi, à écouter les sons qui proviennent, déformés, depuis l'intérieur des couloirs du Ferrailleur. Son "bureau" ressemble plus à un établi, plus à l'atelier de mécanicien qu'était autrefois le ferrailleur. Son coeur bat la chamade, le rend sourd. Sans la réaction de C-1 il aurait cru que c'était son imagination, dans le silence revenu de l'arène. Mais il y a eu du bruit. Il y a eu un bruit. Ce n'est pas parce qu'on fait partie de la pègre qu'on est particulièrement armé. Rhil avait Ithan pour ça. Ou C-1, visiblement. L'astromech avait un chalumeau laser et n'avait pas peur de s'en servir - pendant quelques secondes, Rhil considère s'il s'agit ou non d'un problème qu'il serait judicieux de laisser aux pinces d'un astromech pendant qu'il continue son propre taff, lorsque il sent ses muscles se gripper, la colère blanche dans ses veines, brûler, l'étouffer, l'étrangler de l'intérieur. Qui que ce soit. Ils étaient venus pour des "pièces". Pour des membres et organes de droïdes. Sous sa responsabilité.

La main sur son propre chalumeau laser, Rhil rejoint C-1, rejoint l'origine du bruit. Et sur le seuil de la porte, il reste immobile. Il s'était attendu à se faire rattraper par son passé dès qu'il avait mis les pieds sur Naboo - les anciens notables qu'il fréquentait, des anciens collègues de Mendeleïv, merde, son ex, ou quiconque capable de faire le lien entre son visage et le nom de Rhil Trasam, et le casier judiciaire qu'il avait dû laisser sur place quand il était parti en trombe en brûlant ses ponts derrière lui. Traumatisé parce qui était arrivé à Icarus, terrorisé de son impuissance, de ce qu'ils allaient faire à C-1 ce qu'ils avaient fait à Icarus.
Malgré son QI, cet abruti ne s'était pas attendue une seule seconde à croiser l'ancienne androïde reconditionnée. Il reste immobile, convaincu qu'avancer d'un pas risque de le faire s'effondrer. Il a les jambes en coton, la tête de plomb, la langue de papier maché. « - Icarus. » Le son a plutôt la gueule d'un hoquet qui prend sa gorge, sa voix étranglée. Cela lui échappe. Parce que ça n'a aucun sens de la voir là, comme un fantôme, dans son arène, en circuits et peau synthétique, au milieu de son matos, comme si rien n'avait jamais.
Pourquoi est-ce qu'il lui parle ? Pourquoi est-ce qu'il s'inflige ça ? Ce n'est pas Icarus. Son visage, son corps oui - uniques dans la galaxie, ne correspondant à aucun autre modèle. Mais l'étincelle n'est plus là. Plus pareille. Cela va juste faire mal.

Il se rend compte qu'il a plaqué ses mains sur son visage, de chaque côté de son nez. Ses bagues se reflètent dans ses yeux trop brillants, trop luisants, comme des myriades d'étoiles confuses. Les bras lui en tombent le long du corps, livide quand il réalise : « - Ils t'ont envoyé à l'arène ? » Ses doigts tremblent. Sa voix tremble. Et il y a une colère qui couvre (cette fois, il peut faire quelque chose ? Il peut faire quelque chose. Il est responsable. Ironiquement.)

(c)